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N°354 à 359
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Lettre d'Expression médicale n°354

Hebdomadaire francophone de santé
12 juillet 2004

Annoncer une mauvaise nouvelle
Docteur Jacques Blais

C’est une réflexion sur les stratégies de communication. Mais pas seulement bien sûr, car il ne saurait exister de hasard dans les comportements, liés à ou induits par des apprentissages et des expériences et, partant, également à des choix de l’existence. Exprimé d’une autre manière, un professionnel de santé ne devient pas chirurgien en tirant à la courte paille, ou médecin par petites annonces, l’un comme l’autre de ces soignants auront abouti à leur poste en optant au cours de leurs études vers un parcours qui leur convienne et les séduise.


Retrouver la confiance:
La question du jour est la suivante : comment procède-t-on de la façon présumée la plus appropriée à l’annonce d’une mauvaise nouvelle, en l’occurrence un résultat de biopsie qualifié de positif ? Ce qui mérite d’emblée une toute première réflexion. Un résultat décrété positif par l’intervenant soignant est le plus négatif qui puisse être pour le patient, puisque annonçant un cancer. Simple notion de point de vue ? Toute l’histoire commence là.
Dans un service déterminé, présumons le d’urologie parce qu’y exercent et des chirurgiens opérateurs et des médecins traitant par médicaments, la façon de procéder est radicalement différente. Les chirurgiens font adresser au patient par leur secrétariat une lettre annonçant de manière….lapidaire, tiens voilà un mot très intéressant, on lancerait alors des cailloux sur le malade ? au figuré bien sûr,  que « la présence de cellules anormales sur votre prélèvement anatomopathologique nous invite à vous proposer de prendre rapidement un rendez-vous pour que nous en discutions. »


Restaurer la conscience
Soyons alors conscients, en toute lucidité, de la situation. Le chirurgien a … opéré selon ses convictions et ses apprentissages. Tranchant dans le vif, il a taillé dans le papier et incisé de sa signature une sorte de condamnation en utilisant sa plume comme son scalpel, sur ou à l’encontre d’un patient incapable de lui répondre, une mutité à laquelle il est accoutumé grâce à l’anesthésie. Propos cruel et violent ? Non, lucide. Et surtout pas une condamnation ni une généralisation, toutes les personnalités existent parmi les professionnels de santé.
Cette pratique est liée à l’expérience, un chirurgien traite par le biais d’outils et d’instruments, quand un médecin utilise la parole….et parfois des médicaments qui s’avalent et se boivent comme les paroles citées. Lorsqu’on discute en médecin de cet état de fait avec le chirurgien, il est surpris, logiquement d’ailleurs. Comment cela, le patient est tout seul devant sa feuille imprimée dont il a aisément compris le message instantanément ?. Oui, réplique le chirurgien, je l’ai avisé de ce que nous devions discuter de son cas. Comment cela, il va alors, pendant parfois des semaines avant de parvenir à obtenir un nouveau rendez-vous dans un service surchargé, s’imaginer envahi par un cancer galopant, métastatique, débordant, et sans autre issue que le pire, les rayons, la chimio, des conséquences effroyables, et la mort ? Mais je n’ai rien écrit de tout cela !!
Effectivement, car le chirurgien agit, par son geste, et lui est déjà dans l’action future, sans imaginer un instant que le patient est demeuré dans l’hypothèse, l’incertitude, dans le scenario du pire. Le verbe et les verbes n’appartiennent généralement pas à son programme. Ce n’est aucunement une critique, mais un constat habituel non généralisable cependant.


Renforcer la compétence:
Quelques médecins vont expliquer, suggérer, en citant leur pratique. Eux, dans une situation identique, téléphonent au patient. « Oui, se défend le chirurgien, mais par téléphone on ne peut pas prévoir la réaction ». Exact, mais la réaction de qui ? Du chirurgien désemparé devant les questions, la peur, l’angoisse, une éventuelle agressivité, l’expression d’une urgence, l’envahissement de la communication et du temps ? Ou du patient, dont il sera on ne peut plus aisé et efficace d’écouter et d’entendre la voix, les ruptures de rythme, la raucité, le sanglot ravalé, les silences prolongés, les hésitations, de susciter des interrogations qu’il n’oserait pas en face à face, alors qu’il est chez lui, qu’il peut blêmir, rougir, ou verser une larme silencieuse en pensant échapper au regard ?
Et précisément, au lieu de l’imaginaire lui envahissant déjà le corps de métastases et d’extension, le privant de solutions thérapeutiques modérées, l’atteignant et l’exposant au pire, il va par le biais de la parole être en mesure de matérialiser ses angoisses, de les exprimer, d’entendre des réponses, de s’approprier physiquement un cancer fantasmatique. L’être a besoin ici d’avoir, je suis un humain, et j’ai un cancer. Il est situé à tel endroit, il mesure tant de millimètres, son degré d’évolutivité a été chiffré par tel coefficient, ce qui le classe dans telle catégorie, permettant tel traitement, tel type d’intervention, avec tel pourcentage de probabilité, tels effets secondaires.

Y a-t-il une leçon à tirer de tout cela ? Certainement jamais, le terme est inapproprié, il y a par contre un certain nombre d’enseignements et de constats. En écrivant plutôt que de téléphoner, le praticien éloigne à l’évidence le patient, le temps, le délai, évite les mots, les questions, le dialogue, et ménage de façon tout aussi nette sa peur à lui, et non celle présumée d’un patient malmené face à un rectangle de papier en forme traduite d’arrêt de mort pour beaucoup. Quand, sous forme de paroles, l’annonce vraie devient dialogue, interrogations, réponses, explications, perspectives, stratégies, projets. Naturellement relayés dès que possible par une consultation de face à face qui va compléter, relancer, expliquer, prévoir.
Ce qui n’empêche en rien le respect d’une mesure légale, d’une trace d’annonce : « je vous confirme cela par écrit, mais j’ai préféré m’en entretenir avec vous oralement d’abord ».
L’écriture est un secours indispensable quand elle est utilisée en trace à relire, en phrases à conserver, en expression à ralentir et soutenir, en explication et démonstration soutenant des idées et des théories, en beauté et en poésie. Mais elle est à risque, ses qualités devenant aussi vite des défauts, lorsque ses ciselures deviennent couteaux, ses mots se transforment en cris, et ses phrases de bon sens en interrogations à double sens. Pour bien des situations la parole sera irremplaçable, et cet exemple en est un, pour annoncer à un être qu’il est atteint dans son corps, le dire initialement est sans doute préférable à l’écrire, pour ne pas être pris au pied de la lettre.

l'os court :  « Si j’ai demandé un faux numéro, pourquoi répondez-vous ? »  James Thurber


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Lettre d'Expression médicale n°355

Hebdomadaire francophone de santé
19 juillet 2004

A vos marques
Docteur Jacques Blais

Un sujet de civilisation, pourrait-on dire, sur lequel une émission de radio s'est penchée il y a quelques temps, et qui a inspiré à Philippe Ariès un ouvrage de sociologie sur l'idée des marques. Celles que portent les vêtements, en particulier, et leur signification.
Il est utile de noter en démarrage que le terme lui-même de "marque" vient au départ du marquage des bêtes d'un troupeau à l'aide d'un sceau de fer porté au rouge, comme signe d'appartenance à un propriétaire agricole.


Retrouver la confiance:
Ce premier élément, même s'il est résumé sous l'idée "d'appartenance à un troupeau" est plus qu'intéressant, fondamental. En effet, la cible principale des marques, le potentiel commercial le plus sensible, est celui des jeunes, à la fois par leur réceptivité aux messages publicitaires, leur fonctionnement collectif par imitation, et leur sentiment d'appartenance à des groupes qui leur donnent leur signification dans l'existence.
Un jeune, enfant, adolescent, a pour se sentir en confiance besoin impérativement de cette "marque de groupe" qui sera faite à la fois d'un langage, d'un mode de comportement, d'une participation collective à une activité, à une équipe, fût-elle seulement de supporters, tous alors reconnaissables de nouveau à cet "uniforme"
Le mot est lâché, l'uniforme, cet instrument d'égalisation apparente, sans doute, mais encore bien plus cette garantie de non différenciation, cet aspect extérieur qui mènera tout jeune, des baskets à la casquette, à apparaître rigoureusement selon les mêmes critères que tous ses copains, pour se rassurer et être membre de la fratrie.

Restaurer la conscience
C'est le deuxième point qu'évoque le plus Philippe Ariès, interrogé sur sa vision de ce phénomène des marques. Les générations précédentes étaient celles des "pères", la transmission était alors celle d'une culture, d'une ethnie, d'une religion, d'une éducation, d'un patrimoine, d'un milieu social, d'une profession éventuellement, d'un mode de vie, de traditions, et cette pérennité suffisait à "marquer" des valeurs qui étaient reconnues par le groupe familial, le sous-ensemble dans le système.
Actuellement la transmission est celle des " pairs" ou des frères, des égaux, des équivalents dans le groupe social, et non plus celle des anciens, des prédécesseurs. Et les valeurs transmises sont alors non plus culturelles, ethniques, religieuses, politiques, sociologiques, d'éducation, de mérite, de profession, mais celles de l'apparence qui est la règle de l'appartenance au groupe. Autrement dit non plus "dis moi quel est ton parcours, quels sont tes apprentissages, tes expériences, ton éducation, ta culture, tes traditions", mais bien plutôt "dis moi combien tu portes sur toi, que je puisse évaluer, estimer, ta capacité à entrer dans le même groupe social que moi"
Il est extrêmement instructif d'écouter les phrases de ces jeunes, interrogés. "Si t'as pas la marque, t'es rien. Tu attrapes pas les filles, tu entres pas dans les boîtes, tu n'existes pas, tout simplement". Ils sont d'une précision absolue dans leurs évaluations. En dessous de Nike, Diesel, Fashion, Lacoste, Gucci et équivalents, il est inutile d'espérer "entrer".

Renforcer la compétence:
"Entrer" est encore une notion dont on entend l'expression avec un intérêt majeur. Entrer dans un groupe, bien sûr, mais aussi entrer dans une boîte de nuit, dans un club, dans un lycée, dans une profession, dans la société, dans la collectivité, nécessite une sorte de "compétence", celle de se montrer capable, par n'importe quel moyen, d'acquérir un uniforme de marques acceptées et assimilables à celles du niveau social du groupe.
Ces jeunes expriment une échelle, elle va se situer entre 250 et 300 euros à porter sur soi, ce qui place dans une hiérarchie d'admissibles dans le groupe. Et ces jeunes, lorsqu'ils s'expriment, vont loin dans leur analyse, affirmant notamment que "les intellos" entendre par là les bons élèves, les futurs diplômés, ne portent pas de marques, eux se regroupent entre eux avec des critères d'appartenance différents. Une valeur ajoutée par les études, et non par l'argent qu'ils portent sur leur peau.
Tout ceci n'est pas une découverte réelle, mais une illustration instructive de l'évolution d'une société. De la transmission à la descendance de valeurs traditionnelles anciennes, culture, éducation, mérite, à la transmission horizontale entre pairs de valeurs commerciales, on porte ce que l'on vaut.
La compétence change aussi complètement. Nulle surprise alors que les enseignants ou les éducateurs s'échinent et s'acharnent à communiquer des valeurs d'autrefois, quand la compétence nouvelle est essentiellement celle qui devine, qui devance, qui offre une valeur aux marques constituant l'appartenance. Le meilleur des commerçants non seulement repère, mais devance, instaure parmi les jeunes l'arrivée de la marque qui deviendra le phare et la source de profit maximal.
Les porteurs actuels de la transmission sont, de nouveau et toujours, les vedettes médiatiques du petit écran. La vraie réussite est là. Si un membre de la Star Ac porte soudain une paire de chaussures nouvelles, n'importe quel commercial de la chaussure vous affirmera qu'il sera le lendemain en rupture de stock sur cette marque et ce modèle. Le signe a été donné.

Alors les questions sans réponses, ne les qualifions pas d'idiotes, affluent. Comment changer le message, comment le transformer, comment changer le cours et la nature des valeurs pour cette immense majorité de jeunes de nos pays ?
Comment, pour les parents, résister, orienter, recentrer les valeurs, donner le goût de l'existence basée sur des valeurs personnelles et non sur celles des vêtements que l'on porte ? Comment lutter contre les copies, les contre-façons, la contrebande, puisque tous ces phénomènes répondent à une demande extrême et croissante ? Comment, adultes, ne pas entrer dans le même moulage, ou "formatage" en n'achetant les mêmes voitures, les mêmes objets, les mêmes marques ?
Il y a derrière tout cela un vieux mot, désuet, reçu de nos pères, celui de "mérite". Le plus étonnant est de constater en regardant l'étymologie de ce mot fabuleux qu'elle se trouve dans le Grec, meiresthai, obtenir en partage, ou meros, la part, mora le destin. Et dans le Latin, par mereri, meritus, recevoir comme prix, gagner. Et la famille d'origine de tout cela, issue de mer, a à voir avec la mémoire. Dans le fond du problème, s'agirait-il de savoir ce que l'on gagne à dépenser ? Ou bien ce que l'on partage en méritant ?
Bon courage, les amis.

l'os court :  « Répéter je sais, je sais ... signifie que l’on ne sait pas et que, d’ailleurs, on s’en moque.» Robert Sabatier


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Lettre d'Expression médicale n°356

Hebdomadaire francophone de santé
26 juillet 2004

Iatrocide
Docteur François-Marie Michaut

Les conséquences logiques sur le terrain vont parfois totalement à l’encontre de ce que recherchent les concepteurs en chambre d’une solution à un problème bien concret. Les députés du Parlement français viennent ainsi de voter une loi destinée à éviter le naufrage financier de notre système d’assurance maladie. Pour que ce texte soit définitivement adopté, les sénateurs doivent l’entériner. Il est donc urgent de dire haut et fort ce qui va se passer. Notre habitude n’est pas de dramatiser, mais si nous utilisons le terme de iatrocide, c’est parce que tout un pan de notre médecine risque de disparaître à tout jamais.


Retrouver la confiance:
Avec l’objectif, au demeurant fort généreux, de mieux protéger les patients contre les risques liés aux usages, mésusages et accidents des pratiques médicales, le docteur Kouchner, alors ministre de la santé du gouvernement socialiste a fait adopter une loi. Loi sur les droits des patients, donnant la possibilité d’indemnisations importantes en cas “ d’alea thérapeutique”. Parallèlement, à l’exemple de ce qui se passe outre-atlantique, les patients hésitent de moins en moins à porter plainte contre leur médecin. Le résultat a été rapidement calculé par les compagnies d’assurance dont les primes concernant la responsabilité professionnelle se sont envolées.

Restaurer la conscience
Sous cette double influence, des spécialités comme la chirurgie, l’anesthésie, la gynéco-obstétrique voient le nombre de leurs praticiens s’effondrer.
Si la dernière loi Douste-Blazy est appliquée, chaque patient devra avoir son médecin traitant, seul habilité à autoriser l’accès aux médecins spécialistes. Deux cas peuvent se présenter.
Le médecin généraliste a peu de clients, et, ce n’est pas rare, il a du mal à vivre de son métier. Le pauvre n’a guère le choix. Il ne peut que donner satisfaction à toute demande de consultation d’un spécialiste. Le prix d’ une consultation tombe dans son escarcelle. Comme le spécialiste se sentira l’obligé de ce fournisseur, il lui renverra le patient avec un courrier. Deuxième consultation assurée.
Quant au médecin ayant une bonne clientèle, on peut penser , comme cela se passait naguère dans 95% des cas, qu’il est capable de répondre lui-même au problème médical soulevé, bien souvent en une seule séance. Et bien, étant donné le risque de plus en plus grand de procès, il ne pourra plus assurer cette responsabilité. Si son patient faisait un infarctus trois mois plus tard , ou si un cancer du sein faisait parler de lui dans un an, il se retrouverait devant le juge en position très difficile. Le voila donc contraint, lui aussi, à répondre positivement à toute demande de consultation spécialisée, aussi farfelue et inutile soit-elle à ses yeux.

Renforcer la compétence:
Voilà comment en deux lois, inspirées par deux médecins, ô ironie du sort, on peut obtenir deux résultats paradoxaux. Ruiner encore plus les caisses d’assurance maladie avec des consultations médicalement parfaitement inutiles. Et, à nos yeux infiniment plus grave pour notre santé à tous, mettre à mort ce qui constitue la substance même de la médecine générale. Une société sans médecins généralistes, est-ce bien cela que nous souhaitons ?
Messieurs les Sénateurs, votre responsabilité est immense. Le silence des professionnels, assommés de mesures contraignantes depuis le catastrophique plan Juppé de 1996 ne doit surtout pas être pris pour une acceptation tacite de ce qui se met en place. Chacun cherche désespéremment de trouver un échapatoire à ce monde destructeur que vous tissez. Je ne voudrais vraiment pas être à votre place. En tout cas, vous ne pourrez pas dire que vous n’avez pas été prévenus. La mémoire de l’Internet est infiniment plus redoutable que celle de vos électeurs. Sachez, malgré les vacances et votre légendaire sagesse, ne jamais l’oublier.

l'os court :  « Quand les saucisses commencent à mordre les chiens, on peut commencer à s’inquiéter » Demarquet


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Lettre d'Expression médicale n°357

Hebdomadaire francophone de santé
2 août 2004

Souriez, vous êtes fichés
Docteur François-Marie Michaut

Voici l’histoire, lecteurs de la LEM. “ J’ai la malchance d’avoir un père alcoolo-dépendant, et je suis moi-même depuis des années un malade de l’alcool.Ô, juste comme un adulte sur dix dans nos sociétés, y compris celles où règne la loi islamique qui interdit tout usage des boissons fortes.


Retrouver la confiance:
Contrairement à l’image d’Epinal qui colle , y compris chez les médecins, aux basques des mes frères de galère, je ne suis pas du tout un clochard, ni un raté. Tout au contraire, j’exerce des hautes fonctions de direction dans une importante entreprise, que vous me permettrez de ne pas citer. J’ai dû, et à plusieurs reprises, subir plusieurs traitements médicaux spécialisés dans des centres d’alcoologie, afin de mettre un terme à cette toxicomanie légale qui me tuait. Et mon niveau de formation dans une prestigieuse école d’ingénieurs ne m’était vraiment d’aucun secours pour m’en sortir. Me voilà condamné, sous peine de mort, à une abstinence totale et définitive d’alcool. Je suis sobre d’alcool, mais comme disent mes amis alcooliques anonymes, je reste alcoolique. Mais je ne suis pas du tout anonyme, j’ai un nom et une situation très en vue “.

Restaurer la conscience
Voilà une histoire banale, telle que nous en rencontrons régulièrement en alcoologie, dans le secret de nos cabinets de consultation. Là où les choses se compliquent, c’est quand la loi Douste-Blazy ( cf LEM 356 Iatrogène ) veut imposer un dossier obligatoire pour chaque patient dès 2007. Oui, un dossier informatisé centralisé, dont aucun informaticien, donc aucun médecin, ne pourra assurer l’inviolabilité. Si des intrusions non autorisées ne sont pas techniquement absolument impossibles, soyons assurés qu’elle se feront. Qui,dans le monde médical, aura l’inconscience de faire figurer dans ce dossier une histoire telle que la notre ? La révélation d’un diagnostic de dépendance à l’alcool ( ou de toute autre maladie, particulièrement dans le domaine psychiatrique ) a toutes les chances de détruire une carrière ou une vie. Lâchement, ceux qui pensent n’avoir que des maladies honorables - qu’en savent-ils, en vérité ?- ne pipent mot. Une hypertension, ou une arthrose, cela vous renforce votre carte de visite. Un alcoolisme, une séropositivité ou une dépression, c’est à cacher.

Renforcer la compétence:
Qu’en plus, on ose apposer la photographie de l’assuré sur chaque carte informatisée permettant d’accéder à ce dossier obligatoire est hallucinant. En France, sauf erreur, seuls les officiers de police sont en droit légal de vérifier l’identité des citoyens. Mais pas les médecins ! Osons dire que nous refusons de le faire, car ce n’est pas du tout notre métier. Un romancier naguère nous promit Big Brother. Au moins, cela vous avait un petit air fraternel. Nos hommes politiques nous précipitent vers un redoutable Big Doctor, aux effets destructeurs évidents pour tout clinicien digne de ce nom.
Alors, si le coeur vous en dit encore, ne vous en privez pas, avant d’en pleurer amèrement : “ Souriez, vous êtes fichés “. Là encore, messieurs les sénateurs, avant de donner votre accord final à cette loi , faîtes en sorte que personne ne puisse dire un jour : fiché = fichu. Et si vous avez la curiosité d’ouvrir votre dictionnaire, vous aurez la confirmation de la connotation sexuelle du verbe ficher, synonyme de foutre : avoir des relations avec une femme. Le poids des mots est décidemment bien plus fort que nous ne l’imaginons.

l'os court :  « « Il m’est arrivé de prêter l’oreille à un sourd, il n’entendait pas mieux. » Raymond Devos


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Lettre d'Expression médicale n°358

Hebdomadaire francophone de santé
9 août 2004

Silence, on tourne
Docteur Jacques Blais

Une expression très habituelle associe deux mots, lorsqu'on évoque Un silence de mort, dont il est possible d'éprouver l'exacte transposition quand vous vous trouvez dans une salle de cinéma à regarder l'admirable film, primé à Cannes, de Denys Acand, "Les invasions barbares". Un scénario qui, comme pour apprivoiser, débute par une solide approche ludique, avec un humour féroce et salace, puis grimpe dans des échanges très culturels entre universitaires Canadiens, avant d'aborder dans le dernier tiers le coeur du sujet, la mort. Vous entendez alors son exact silence, dans une salle devenue tombe muette et figée, puis si vous écoutez en plus d'entendre, vous parviennent ces souffles retenus, des gorges crispées, des déglutitions tendues, des lunettes ôtées, des mouchoirs extraits, et des sanglots retenus ou non. Impressionnant comme ce film remarquable attaque votre meilleure résistance, avec une pudeur extrême, tout est suggéré, livré à l'imagination, et la vôtre pleure ouvertement ou intérieurement.

Retrouver la confiance:
Il y a quelques temps, les médias ont donné à voir et penser avec le drame de cette mère qui abrège les souffrances, et bien davantage à travers ses mots la désespérance sans issue de son fils quadriplégique. A cette occasion, les propos du représentant du gouvernement ont été élevés, nobles, humains, quand le Premier Ministre affirmait que la question n'est pas du ressort de la politique. Et lui aussi évoqua ce silence de la mort, en demandant de le respecter autour de cette famille.
Enfin le même jour encore, une émission d'une radio nationale évoqua également le problème, dans un reportage tout de pudeur et de respect (Là bas si j'y suis, Daniel Mermet) , au cours duquel une famille évoque l'euthanasie du père, qui a perdu tout contrôle de son idéation et de sa conscience depuis des mois. Beaucoup de notes extraordinairement importantes, dans ce reportage là : d'une part les membres de la famille ne parviennent pas tous, si tous ont donné leur accord, à "agir l'acte". Deux participent totalement, et il est intéressant de noter que l'un est le fils biologique, l'autre une fille adoptée, quand trois demeurent à distance, une autre fille adoptée, l'épouse, et un enfant biologique du père dont on achève la vie. Deux lapsus du fils, lors de son récit, sont à noter, il dit d'abord "j'ai avorté mon père" et plus tard "j'ai autopsié mon père" en voulant dire j'ai euthanasié mon père. Interrompre, autre sens de la même idée, et "explorer dans son corps intime" comme résultat, en quelque sorte. Un dernier point, le fils déclare, serein, "il m'aurait semblé logique d'injecter le produit moi-même, c'était mon rôle à moi..."
Oui, dans ce silence terrible, pudique, mérité, logique, obligé, subi et subit, qui entoure cette mort là, si particulière, nous parlons bien de l'euthanasie, le sujet dont on ne parle surtout pas tout en le plaçant dans les têtes, les coeurs, et devant les micros, sur les lèvres.

Restaurer la conscience
Seuls deux pays, disons les d'Europe du Nord, ont légiféré sur ce sujet délicat, douloureux, et en même temps sensible, lucide, inéluctable, et d'une actualité croissante. Nous n'allons évidemment pas prendre le moindre parti, car si effectivement ce n'est pour une fois certainement pas une décision d'ordre politique, elle ne saurait appartenir davantage au seul monde médical. Tout en ayant conscience de ce que, tous les jours sans exception, des professionnels de santé ont à donner une opinion, en recueillir d'autres, prendre des décisions actives ou passives, et surtout naviguer en permanence entre le non-dit, l'interdit, l'entendu tacite, la logique, et la si subtile différence entre cesser d'agir, interrompre la part de soins de survie artificielle, et décider d'agir, comme dans l'exemple du film de Denys Arcand, dans une clandestinité hors territoire médical, mais avec quelques aides et complicités...   
L'émission de radio évoquée établissait un parallèle subtil de difficulté entre décider en 1974 de la Loi sur l'IVG, inacceptable pour beaucoup, et indispensable pour plus encore, et cette actuelle interrogation sur un consensus sur l'euthanasie, à défaut de Loi. Et pour enfoncer ce clou là, les médecins de ma génération gardent un souvenir précis. Celui d'une nuance résolument hypocrite, combien de discussion entre des praticiens jamais confrontés à des demandes d'Interruption Volontaire de Grossesse, grâce ou à cause d'une appartenance manifeste et affichée à des clans opposés, catholiques purs par exemple mais pas seulement, laissant alors les autres confrères concernés, eux, se débrouiller avec les 3 demandes quotidiennes de gamines de 15 ans dans des cités dites défavorisées, mais de nouveau pas seulement, ou bien pire encore, certains praticiens clamant une nuance entre le stérilet qu'ils refusaient car à l'origine d'un "mini-avortement d'oeuf déjà conçu" et d'une pilule qu'ils acceptaient.

Renforcer la compétence:
Si à l'époque ce type de considération pouvait faire hurler, comment évaluer la nuance actuelle entre décider de cesser des soins de survie, et décider d'agir comme la mère de ce jeune homme. "Ce n'est pas du tout pareil" pourrait-on immédiatement entendre. Voire. Et c'est alors toute l'interrogation, dans laquelle nous ne prendrons certainement pas parti. Parce que le but de cette réflexion est de comprendre le préalable systémique. La compétence si elle doit être définie n'est pas politique, mais un législateur devra au moins par défaut intervenir pour ne pas condamner ou fixer un cadre, une commission, un collectif. La compétence est systémique, avec tous les sous-groupes habituels : la famille, (et les exemples cités prouvent qu'elle doit être élargie), au delà de la biologie, le groupe familial disons, certains proches, amis, amants, connaissant et sachant infiniment plus des idées, désirs, souhaits, du mourant que sa famille parentale, les soignants, très élargis également, médecin traitant, équipe de réanimation, de soins, et tous les intervenants divers d'assistance et de support. Et s'il y a lieu d'autres personnes existant dans la conscience, la confiance et la compétence, un thérapeute, un confident, un religieux s'il y en a dans l'existence du patient, un conseiller....
On voit que, lorsqu'il y a eu condamnation de personnel soignant, il s'agissait d'individus, ayant agi sans concertation globale, sans consensus familial, et de l'équipe soignante, il ne saurait exister de marche à suivre qui ne soit un produit résultant d'un système, d'un ensemble. Et le dernier point de ce lancer de réflexion est de revenir à ce silence du titre. Un silence de mort, qui convient pour entourer, protéger, aider, respecter, parce que l'acuité à nulle autre pareille d'une telle succession d'idées, de pensées, de réflexions, d'échanges, qui même en additionnant des compétences se situeront dans l'être bien plus que dans le savoir, et surtout jamais dans le pouvoir ou l'avoir, justifie toute la pudeur du secret des existences, et certainement jamais le battage, l'écho, et le bruit pour rien. Même s'il s'agit du plus haut degré imaginable de l'existence, très loin des riens de la vie.
Si les hommes parviennent un jour à trouver un comportement juste et collectif dans le domaine de la mort consensuelle, cela signifierait que les êtres arrivent à se respecter même dans leurs systèmes.

l'os court :  « Ce que l’on te reproche, cultive-le, c'est toi. » Jean Cocteau


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Lettre d'Expression médicale n°359

Hebdomadaire francophone de santé
16 août 2004

Hors d'état de nuire
Docteur François-Marie Michaut

A n’en pas douter, il est un sujet intellectuellement brillant, Richard Jan. Il serait même crédité d’un QI ( coefficient intellectuel) hors du commun à 150. Le rapporteur de son histoire ne dit pas un mot de ce que pourrait être son intelligence émotionnelle ( QE) dont nous aimons parler à Exmed. Probablement minable. Ce biochimiste britannique est pourtant sous les verrous à vie. Serait-il un tueur en série particulièrement dangereux, comme le fut notre célèbre confrère anglais il y a quelques temps ? S’agit-il d’un pédophile redoutable, d’un escroc de grande envergure ? Pas du tout.

Retrouver la confiance:
Ce sympathique Richard Jan, selon le juge du Middlesex qui lui a signifié sa condamnation mérite cette observation : “ Les sujets de Sa Majesté doivent être protégés de vous”. Selon, le journal le Monde du 13 juillet 2004, il s’agirait tout simplement du harceleur du siècle. Titre pour le moins présomptueux, hélas, quand notre petit siècle n’a pas encore soufflé ses cinq bougies.

Restaurer la conscience
Pour que la justice prenne en compte la gravité des faits, il a fallu que, pendant sept ans, au moins deux cents personnes aient été persécutées, dans le but avouer de les faire craquer psychologiquement. Les méthodes pour y parvenir ne sont pas sans intérêt. Passons sur les lettres de menace, les appels téléphoniques injurieux, les pneus crevés, voitures vandalisées, incendie d’une maison, menaces avec une batte de cricket, et envoi des services d’hygiène pour procéder à une dératisation. Plus subtilement, on été dosés de façon particulièrement perverse nos outils favoris de communication. D’une part les minimessages téléphoniques, et, surtout, ce que nous utilisons chaque jour à Exmed - dans un tout autre objectif- : les courriers électroniques. Pour faire bon poids, il y a aussi eu de multiples appels téléphoniques muets pour inquiéter des victimes. Bien sûr, les experts psychiatres ont été interrogés par les juges. Et leur réponse a été sans ambiguïté : ce sujet ne souffre d’aucune pathologie mentale. Il est tout simplement dépourvu de toute possibilité de remords, et suit son idée fixe. Celle de mener, par ce type de moyens, ce qu’il nomme “ la troisième guerre mondiale”, contre “la horde fasciste”. L’élément déclencheur ( en lui-même, il ne peut absolument pas être la cause de cette perversité) semble avoir été, selon le journaliste du monde, une demande formulée par ses parents eux-mêmes persécutés ,en 1996, de se soumettre à un examen médical. Pauvre médecin, en vérité, aussi désarmés et impuissants que le sont nos confrères britanniques chargés par le NHS ( service national de santé) d’apporter une aide médicale aux harceleurs. Oui, vous avez bien lu, aux harceleurs. Comment peut-on espérer que des gens qui prennent leur plaisir à tourmenter psychologiquement les autres, qui sont tellement dépourvus de toute possibilité d’autocritique, puissent demander une aide extérieure ? Quelle méconnaissance de la façon dont fonctionnent les harceleurs que de penser qu’une telle proposition de soins est réaliste. Jamais aucune harceleur ne renonce à harceler : il peut juste changer de cible, c’est tout. Et, en prime, quelle perversion des esprits : ce sont ceux qui assassinent psychologiquement les autres qui ont ainsi droit à la sollicitude médicale. Les victimes, parfois à vie, de ces redoutables prédateurs sont priées de se débrouiller toutes seules pour s’en sortir.

Renforcer la compétence:
La justice britannique a fait, et bien fait son travail : punir ceux qui ne respectent pas les droits des autres à vivre librement, et mettre hors d’état de nuire ceux qui n’ont rien d’autre dans la tête que de détruire les autres. Bravo. Toute autre considération, notamment sociologique, psychologique, médicale ou politique est hors sujet. Le temps trop facile des “ c’est la faute de la société, de traumatismes de l’enfance ... ” chers aux avocats en mal d’arguments de défense doit être comme ici dépassé. Le juge n’est ni un travailleur social, ni un médecin.
La médecine, elle, n’a rien compris à la gravité du harcèlement moral en se laissant imposer l’obligation moralement indéfendable de traiter les coupables de harcèlement comme s’ils étaient victimes d’une maladie. Et d’une maladie soignable, voir guérissable. On rêve. Honte à notre corporation pour cette tromperie. Car, disons-le sans ménagement, notre intervention sert alors uniquement à faciliter leur travail aux harceleurs qui savent si bien pervertir la relation médicale. Comme toutes les autres, ceux qui participent à nos échanges d’expériences à Exmed en témoignent régulièrement.

l'os court :  « Les cons, ça ose tout ; c’est même à cela qu’on les reconnaît. » Michel Audiard