ARCHIVES DE LA LEM
N°360 à 365
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Lettre d'Expression médicale n°360

Hebdomadaire francophone de santé
23 août 2004

Bienheureux les Coeurs Purs
Docteur F. Soize

Comme les grands esprits même en vacances se rencontrent je ne peux que rebondir pour cette réflexion sur le coup d’œil du 11/08 et sur la LEM 358 « Après le silence ».
Depuis plusieurs mois et années les gouvernements successifs veulent nous faire croire qu’ils sont aux petits soins avec notre santé, notre sécurité, nos loisirs…bref sans eux, sans leur vigilance, notre bonheur de vivre serait gâché par les vilains bandits ou les « crabes » ravageurs.

Retrouver la confiance:
Il est grand temps que nous fassions le point sur notre libre arbitre en prenant quelque recul face aux offensives bien pensantes de nos politiques adorés.
Peut-on imaginer un instant que nous ayons suffisamment de bon sens pour savoir ce qui est utile ou nécessaire à notre bonheur ? Visiblement les technocrates administratifs n’en croient rien et il est clair qu’ils ont raison puisque nous sommes incapables de pendre seuls les « bonnes » décisions.
Quelles sont donc ces bonnes décisions qui vont enfin faire de nous des humains HEUREUX :
Ne pensez pas !
Amusez vous !
Droguez vous !
Ne vous cultivez pas !
En bref ! Dormez tranquilles, nous veillons !
C’est un programme alléchant, rien à faire, rien à penser…quoique n’oubliez quand même pas d’aller jouer au loto ou de zapper sur Ko Lanta. Et puis travaillez un minimum pour continuer à payer les gens qui veillent.
Donc la définition de notre bonheur dans l’esprit des dirigeants se résumerait à neutraliser tout ce qui fait notre différence d’êtres humains : la conscience. Soyons donc une humanité zombie pour notre plus grand bonheur. Nous pouvons faire confiance à nos maîtres puisqu’ils ont été formés et informés, eux !

Restaurer la conscience
Oui mais voilà, un certain nombre d’entre nous échappent à l’abrutissement généralisé. Il n’est pas question ici des complices du pouvoir qui s’agitent dans les manifs histoire de nous faire croire que nous avons encore un minimum de capacité d’action, mais de quelques égarés mâtinés d’extra-terrestres qui continuent d’utiliser leur cerveau pour autre chose que les besoins de base (boire, manger, dormir, se reproduire, rechercher de la reconnaissance).
Et bien sûr au risque de paraître présomptueuse, votre servante se classe dans cette catégorie.
Les premiers auxquels je voudrais m’adresser sont les viticulteurs. Notre Mère l’Administration a émis l’idée qu’il fallait inscrire sur les bouteilles de vin et d’alcool que la consommation du « nectar des dieux » étaient dangereuse pour la santé et surtout pour les bébés in utero. Levée de bouclier immédiate de tous les ripailleurs. Décidemment vous ne comprenez rien. Faîtes donc comme les industriels du tabac : acceptez ! Aucune femme enceinte alcoolisée ne pourra se retourner contre vous en vous accusant d’être responsable du gnome qu’elle vient de mettre au monde.
Ah ! Quel bonheur de savoir que les alphas (cf. A.Huxley) prennent soin de nos fabricants d’anxiolytiques en tout genre.
Devant notre résistance au bonheur made in « Pouvoir » il faut bien nous donner les moyens de débrancher sans pour autant mettre en péril les bénéfices industriels et commerciaux.
Alors comment restaurer cette conscience tellement décriée. En nous unissant ! Jamais une société soi-disant communicante n’aura créé autant de solitudes. L’individualisme porté au rang de vertu suprême fait de nous des êtres déconnectés de la capacité de mettre en lien les fragments d’information ou de réflexion. Nous avons l’obligation d’avoir une opinion sans la permission de penser. Autrement dit la sacro sainte opinion publique n’est que l’émanation de la pensée des êtres supérieurs « formés pour ça » !
Pour exemple la volonté de débat sur l’euthanasie. Je voudrais croire qu’il s’agisse réellement d’une volonté d’humanisation des conditions entourant la mort. Hélas ! Ne s’agirait-il pas de la mise en acte de notre désespérance. La mort reste encore la seule tache dans nos vies heureuses. Après des années d’illusion quant à notre toute puissance, la certitude qu’un jour enfin nous pourrions puiser à la fontaine de jouvence scientifique, nous avons renoncé et accepté l’inéluctable. Alors comment le mettre en accord avec les conditions du bonheur ? En reprenant la main. En éliminant ce qui trouble notre sommeil bienheureux.

Renforcer la compétence:
Vous pourriez penser, à la lecture de ces dernières lignes, que je fais fi de la souffrance et de la mort. Que nenni ! Simplement la mort est avant tout une des rares occasions qui nous restent de retrouver l’humanité bien cachée au fond de nos cœurs. Ce n’est pas la mort qui est un scandale mais ses conditions. Que l’on meure de vieillesse, d’accident, de meurtre, de guerre…on meurt seul. Mais seul n’est pas synonyme de solitaire. Le seul peut être solidaire. Pas de cette solidarité dont on nous rebat les oreilles mais qui n’est qu’un des moyens utilisés pour culpabiliser la masse des erreurs des puissants.
La solidarité des cœurs devant l’incontournable, l’inacceptable, l’absurde de la souffrance et de la mort. La solidarité qui cache le salut…Si vous avez la curiosité d’aller regarder l’étymologie de ces mots vous verrez qu’ils ont une origine commune : le sou (nummus solidus : monnaie d’or à cours stable). Mais solide, solidaire ont aussi la même racine que soldat, soudoyer ou encore souder.
Comme tout est en tout, ce mot a l’outrecuidance de nous obliger encore une fois à choisir notre camp : solide ou soudard !
Où il est encore question d’argent. Car ce qui rend la maladie et la mort particulièrement odieuses est justement lié à l’argent. Trou imaginaire de la sécu, porte-avion en rade, guerres pour augmenter les profits de certains…
Choix politique entre tous : une société de zombies à éliminer lorsqu’ils sont inutiles et souffrants ou une société humaine et consciente où l’on accompagne avec tous les moyens nécessaires.
M. Mitterrand a eu de la chance, les meilleurs soins, des accompagnants pratiquant la concertation, acceptant le partage. La possibilité de dire sa peur, ses regrets, ses espoirs pour lui et pour les siens. Mais c’était un alpha. Alors pour les autres, nous médecins, accepterons-nous longtemps encore de participer à l’endormissement de nos concitoyens. Quand donc allons-nous enfin oublier nos « capitalisations patrimoniales » pour dire ensemble que nous n’acceptons plus les compromissions étatiques. Quand aurons-nous la même énergie à refuser les diktats de Big Pharma ou les débats vaseux autour d’une mort annoncée que celle que nous mettons à lutter pour la revalorisation de nos honoraires.
Oui ! Vraiment la solidarité vient du sou, seul l’argent et surtout l’espoir d’en avoir plus encore, peut encore réunir !

l'os court :  « Quand je vois quelqu’un qui veut faire mon bonheur, je passe sur le trottoir d’en face. » Alexandre Breffort


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Lettre d'Expression médicale n°361

Hebdomadaire francophone de santé
30 août 2004

Scénario pour une théocratie planétaire
Docteur Philippe Deharvengt

Il est conseillé aux âmes sensibles de s'abstenir de la lecture de cette LEM, qui n'a pas vraiment un goût vacancier. On peut aussi bien lire du San-Antonio, ou Tintin, ou les Pieds Nickelés. Et pourtant, le sujet est d'une extrème actualité. J'ai lu pour vous: <<Le totalitarisme islamiste à l'assaut des démocraties >> d'Alexandre Del Valle (préface Rachid Kaci), aux éditions des Syrtes. Je vais essayer de vous en faire un résumé synthétique.

Retrouver la confiance:
Pour l'auteur, le totalitarisme islamiste est pire que les précédents (nazisme, stalinisme, maoïsme, Pol-Pot, etc...), en ce qu'il véhicule une idéologie théocratique, alors que la laïcité était de règle dans les régimes sus-dits. L'objectif annoncé par Oussama Ben Laden et ses joyeux camarades d'Al Qaïda n'est autre que l'islamisation de la planète, c'est-à-dire étendre la "révolution islamiste" à l'ensemble de l'humanité. A-t-il des chances d'y parvenir? La réponse est affirmative si nous n'y prenons garde. Quel est le scénario prévisible?
      -Déstabiliser la monarchie saoudienne, régime honni par Ben Laden car il l'a déchu de sa nationalité saoudienne, et qu'il est corrompu par le "grand Satan" américain.
      -Instaurer en Arabie Saoudite la révolution islamiste, qui par effet de "tache d'huile" ou de "dominos" se répendra de proche-en-proche, d'abord à l'Irak déstabilisé par la chute du régime de Saddam Hussein, puis à l'Iran, la Syrie, et l'ensemble du monde musulman.
      -Ayant atteint ce premier objectif (presque sans coup férir), Ben Laden et ses joyeux drilles seront les "rois du pétrole", au propre et au figuré. Détenteurs de la plus grande réserve mondiale d'or noir, ils en fixeront le prix à leur fantaisie.
      -Ce qui leur permettra de provoquer la plus énorme crise économique mondiale de l'histoire, avec à la clef la mise "à genoux" des pays occidentaux, et plus généralement des pays non islamistes.
Restaurer la conscience
Seules les nations acceptant de se convertir à l'intégrisme islamiste, donc à la charia (la loi islamiste) pourront peut-être acheter le précieux carburant. Mais les clochers de leurs églises seront des minarets, le muezzin y remplacera les cloches, les hommes porteront la barbe et les femmes le hijad (voile islamique), le voleur aura la main droite coupée, la femme adultère sera lapidée à mort, et seront imposées toutes ces sortes de choses qui font les fins délices des vraies civilisations...
      Il faut savoir que le mot "démocratie" n'a pas de traduction en arabe, car chez les musulmans la souveraineté ne peut appartenir au peuple puisqu'elle appartient à Allah.
      Pour celles et ceux qui en douteraient, la troisième guerre mondiale a commencé. Elle avait probablement débuté avant les attentats du 11 septembre 2001, mais nous n'avions pas voulu le voir.

Renforcer la compétence:
Il existe bel et bien une arme de destruction massive en Irak. Elle n'est ni nucléaire, ni bactériologique ni chimique. Elle est bien plus redoutable, elle est idéologique, théocratique, haineuse, xénophobe. Elle se nomme "totalitarisme islamiste". Il existait en Irak un rempart contre ce fléau, il se nommait Saddam Hussein. Certes il était un odieux tyran sanguinaire, mais son parti, le parti Baas, pratiquait un totalitarisme d'état qui ne concernait que les irakiens. En le faisant tomber, cet idiot de George W.Bush a ouvert la porte à un totalitarisme qui menace l'avenir de l'humanité. Son père avait été plus intelligent lors de la première guerre du Golfe; il s'était abstenu de s'emparer de cet abominable dictateur.
      Quand Oedipe s'en mêle, de nos jours, la santé de la planète toute entière devient encore plus fragile .

l'os court :  « Le pessimiste est celui qui, entre deux maux, choisit les deux.»  Mark Twain


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Lettre d'Expression médicale n°362

Hebdomadaire francophone de santé
6 septembre 2004

Redondances
Docteur François-Marie Michaut

Retenons le sens restreint du mot redondance avec la définition du dictionnaire Petit Robert : “ Augmentation du nombre des caractères dans un message sans accroissement corrélatif de la quantité d’informations“. Austère description, dont nous allons tenter de déguster la substantifique moelle dans un domaine qui nous touche tous de près. Les analystes en chambre des questions de santé ne manquent jamais de le souligner. La pratique médicale a une fâcheuse tendance à bégayer, à se redire et à se répéter comme dans un écho sans fin. En bons comptables dans l’âme qu’ils sont avant tout, nos experts établissent le bilan financier de la foule de prescriptions médicales pour des examens complémentaires qui font double, triple emploi, ou plus, avec ce qui a déjà été fait auparavant. Analyses, bilans, imagerie médicale, examens systématiques, demandes d’avis spécialisés, tout y passe. Sans, il faut bien le dire, que l’on soit persuadé que le souci prioritaire du corps médical soit toujours l’intérêt du patient. Balint, à sa façon, parlait déjà, dans les années 50, des patients “ à gros dossiers”.

Retrouver la confiance:
On peut analyser ce comportement comme une réponse préventive à un reproche supposé. Celui que pourrait faire un patient à son médecin, s’il n’avait pas utilisé au mieux les possibilités techniques du moment. “ C’est un médecin énergique, il me fait toujours faire tous les examens possibles, il me donne toujours les médicaments les plus efficaces”. Qui n’a entendu un jour ce type de propos pour décrire celui en qui on a toute confiance ?

Restaurer la conscience
Il faut bien dire que les routines systématiques, ce qu’on nomme des bilans, les célèbres check-up de nos patients, les arbres de décision de nos enseignants, font partie de ce que le jeune étudiant voit faire chaque jour à l’hôpital par ceux qu’il cherche à imiter pour devenir lui-même un médecin. Or, les années passant, quand un praticien fait hospitaliser un patient, c’est parce qu’il se heurte à une question qu’il ne sait pas traiter. Cette question, il la pose dans sa lettre d’admission. Et là, il est fréquent que la machine hospitalière soit incapable d’éclairer la lanterne du médecin traitant. La plupart du temps, c’est la multiplication incroyable des examens complémentaires ou spécialisés dans tous les sens, qui, tel un chalut en pêche, va ramener une anomalie pathologique qui ne faisait pas parler d’elle. Enfin, quand le praticien est anxieux ou perplexe devant un diagnostic, ce qui est bien humain, il n’aime guère dire la vérité : “ Je ne sais pas ce que vous avez “. Il se sent alors obligé, comme s’il était en faute professionnelle, de trouver une réponse, donc de “faire” quelque chose. La palette des examens, consultations spécialisées, de l’imagerie devient alors un simulacre d’action. On gagne ainsi du temps. Et aussi, le médecin étant payé uniquement au nombre d’actes effectués, on remplit un peu plus son escarcelle, ne manquent pas de dire les mauvaises langues !

Renforcer la compétence:
Devant une réalité humaine dont nous ne venons qu’effleurer la complexité, penser que l’obligation légale de constituer pour chaque patient un dossier médical informatisé unique est de nature à modifier ce comportement médical est parfaitement illusoire. Le simple risque est de conduire à une inflation des techniques d’investigation. Mon patient a déjà eu des radios - qui, comme bien souvent, n’ont rien montré d’intéressant, je lui prescris un scanner ou une IRM. Même si je sais que dans 95% des cas, cela ne m’apportera rien de plus. Une telle persévération dans la même voie sans issue ne peut être modifiée par l’instauration du “ dossier médical partagé”, aussi unique, obligatoire, centralisé, contrôlé soit-il. C’est dans la tête même des médecins que cette routine comportementale du “ toujours plus de la même chose “ doit parvenir à se modifier. Immense chantier. Il ne pourrait, gardons un lucide et prudent conditionnel, commencer que le jour - s’il advient - où l’approche systémique des problèmes de santé deviendrait l’éclairage complémentaire indispensable à toute pratique médicale de qualité. En tout cas, ne garder aucune illusion sur les vertus attendues de n’importe quel système généralisé d’organisation administrative et légale, est une évidence pour ceux qui sont persuadés que nous ne pouvons pas faire l’économie de cette “ métamédecine” qui semble faire si peur à tous nos englués des redondances. A moins que, sortant un jour de leur silence “patient” traditionnel, nos utilisateurs de la médecine ne nous contraignent à écouter ce qu’ils nous crient depuis si longtemps à leur manière : voici ce que nous attendons de vous, les médecins !

l'os court :  « Les Français adorent les révolutions, mais ils ont horreur du changement. »  Anatole de Monzie


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Lettre d'Expression médicale n°363

Hebdomadaire francophone de santé
13 septembre 2004

Humain, tout simplement
Docteur Jacques Blais

C'est un texte qui, comme cela m'arrive quelquefois, va comporter des éléments personnels. Pour les amoindrir, car ils ne constituent pas du tout l'essentiel du message, je demeurerai dans un flou anonyme volontaire quant aux participants impliqués.
Je viens de passer trois ans et demi au sein d'un grand service hospitalier, ayant occupé un poste tout nouvellement créé, de conception totalement innovante, auquel j'ai déjà fait allusion. Et c'est le premier intérêt humain, tout simplement humain, de cette découverte. Qu'un chef de service extrêmement médiatisé, mondialement reconnu (pendant ces 7 semestres j'ai eu affaire à 15 % d'appelants de tous les recoins imaginables de notre terre), chercheur de très haute technologie, ait tout à coup l'idée un peu visionnaire, de se poser une question : "que manque-t-il à mon service pour aller au delà encore ?" est remarquable.

Retrouver la confiance:
Car la réponse à cette interrogation, la plus réconfortante qui soit, a été qu'il manquait encore une interface entre la systémique d'un hôpital, celle des soignants, des secrétariats, de l'administration, de l'hôtellerie, avec tous ses sous-ensembles, une systémique elle-même incluse dans les autres sous-ensembles que constituent les médias de la renommée, les mutuelles, l'Assurance maladie, les ministères, il manquait un interlocuteur entre ces groupes et les usagers, les patients et leurs familles. Ceux que j'ai nommés, moi, les appelants.
Et réaliser qu'un patron d'un service constamment classé N°1 en France dans les médias spécialisés pouvait ainsi se préoccuper des êtres humains qui faisaient appel à son département de chirurgie hypertechnique a de quoi étonner... Et ce chef de service s'est alors mobilisé pour convaincre, créer, innover, trouver le budget pour qu'un tel poste existe. On a baptisé médecin régulateur l'interlocuteur humain que j'ai été chargé de représenter en inventant complètement cet emploi.

Restaurer la conscience
Du régulateur il est possible de prendre la définition des urgentistes, consistant alors à hiérarchiser les demandes, leur proposer des solutions, et puis celle de la régulation des cours des fleuves, par exemple, qui se chargera d'étaler les flux, de les retenir en amont, d'organiser des barrages en aval, de répartir pour éviter les crues et les débordements.
A cette part là du travail humain j'ai tenu à ajouter l'orientation, décidant de ne laisser absolument aucun interlocuteur, fût-il inadapté, avec une demande mal définie, non cadrée, sans une proposition de solution, orientation vers un autre service, un autre hôpital, des réseaux de collaborateurs. Et enfin le principal, entièrement à créer dans n'importe quel hôpital, je le reconnais volontiers, la communication. Avec ses règles implicites très théoriques, accueil, clarté, écoute, formulation, et ses règles explicites à développer complètement : expression positive, empathie, dialogue, échange, réassurance, espace de parole, capacité de proposition et de réception de n'importe quelle demande.
Je résume deux points de découverte statistique au fil des années. En gros sur 1000 appelants (900 par téléphone et 100 par mail) mensuels, la moitié devront être orientés vers des unités en réseau, d'autres services, ou des départements techniques, ce qui nécessite une énorme, énorme, capacité de conviction, de négociation, de réassurance, de dialogue, d'écoute. Quand un demandeur vous annonce "je voudrais voir le Professeur Untel si possible d'ici quinze jours" et que finalement vous allez lui expliquer qu'il sera reçu par un autre praticien, ailleurs, dans un délai inconnu, avec en support de conviction, de dialogue et d'explication une quantité d'arguments développés sereinement, allant dans le sens du meilleur résultat possible pour la situation exposée, c'est un travail humaniste considérable. L'autre point statistique est que, d'une manière générale, dans 27 % des cas l'appelant n'est pas le patient, mais un tiers qui le représente, soit par substitution, par délégation, ou par remplacement affectif. Proportion qui monte à 40 % lorsqu'il s'agit d'un appel pour cancer. La conjointe, la fille, l'ami(e), la belle-fille parfois, ou la mère, la maîtresse, le médecin, l'aide à domicile, appellent pour le patient. Et c'est passionnant, instructif, significatif au possible. N'empêchant pas du tout de recevoir, ensuite, cette étape difficile franchie, un appel du sujet concerné par le cancer.

Renforcer la compétence:
On apprend énormément sur l'être humain, dans un tel travail. Où tous les apprentissages précédents, du généraliste, du médecin du monde, du journaliste, du formateur, de l'enseignant, du communicant, servent infiniment à comprendre, écouter, décrypter, aider, rassurer, proposer, permettre le dialogue. Mais ce que je retiens de principal pour nos propos ici dans le cadre de ce texte tient, de manière amusante, au dernier jour. Avant, d'intéressants échanges ont eu lieu avec les intervenants d'un tel service prestigieux. Jeunes chirurgiens aux dents longues dont on comprend qu'il n'y a jamais de choix innocents. Un opéré est quelqu'un qui dort, d'abord, pour nombre de ces spécialistes, et c'est pourquoi il est si instructif de découvrir un chef de service qui voit en ses patients d'abord des êtres humains. Et d'apprendre aussi, à parler avec eux, ce qui met le plus mal à l'aise ces remarquables techniciens : parler, dialoguer, expliquer, écouter, et inventer des stratégies pour énoncer et annoncer des vérités, des risques et des diagnostics, pour accepter d'entendre aussi, pour renoncer à un pouvoir, pour devenir des humains. Ils souffrent, eux aussi, différemment. Écouter aussi un cancérologue, admirablement humaniste, expliquer qu'il était d'abord oncologue pour enfants, mais lorsque ses propres enfants ont grandi, il n'a plus réussi à faire face, et s'est tourné vers la cancérologie adulte. Une leçon d'humanisme. Sans oublier la systémique interne. Telle secrétaire vivant un deuil cruel, telle infirmière en proie à des ennuis familiaux invraisemblables. Une longue lettre à l'une pour expliquer ce qui fait vivre et ce qui permet d'exister. Et de nombreux entretiens avec l'autre, pour qu'elle trouve une oreille. 
Le dernier jour est fascinant. Il est possible de parler vrai à celui qui s'en va. Le patron, ce chercheur visionnaire technologique de pointe, m'explique qu'il a bien failli ne jamais devenir même médecin. Littéraire de formation et par goût, il a redoublé sa première année. Fabuleux, non ? Et lui aussi est passé par la médecine générale, l'Afrique, la philosophie, et je perçois soudain tellement, tellement bien comment cet homme prestigieux, adulé, médiatisé au possible, est d'abord tout simplement humain, attentif, comment il a pu avoir cette idée toute simple : et si, dans mon service classé N°1 j'inventais un poste de médecin interlocuteur humain entre les usagers appelants et les soignants, les administratifs, le service anonyme ?
Ce texte ne veut véhiculer qu'un espoir, amis lecteurs. Dans tous les endroits où se joue l'avenir de l'homme, par le biais entre autres de sa santé, un humanisme est aussi capable d'exister. Nous avons raison de nous battre, de dénoncer tant de lieux et de circonstances où ce n'est vraiment pas le cas, chacun de nous a connu maints exemples. Mais il reste l'espoir. Quand je verrai, et ceci sans tarder, ce chef de service sur nos écrans, quand je l'entendrai à la radio, quand ses articles paraissent partout, je penserai toujours qu'il a pensé, un jour, à inventer un poste de médecin constituant la toute première intrusion de l'humanisme dans un univers de très haute technologie. Et parce que cela m'amuse, je me dirai que c'est peut-être parce qu'il a dû redoubler sa première année. Moi c'était la deuxième, et croyez moi, ce que certains vivent comme un raté, un échec, peut aussi servir de tremplin extraordinaire pour une autre vision du monde, et pour fabriquer sa revanche intérieure, pour soi tout seul, quand on se dit que grâce à cette compréhension de la fragilité des êtres, on donnera encore cent fois plus à sa vocation : aimer les gens.

l'os court :  « Les études, c’est cinq ans de droit, tout le reste de travers.»  Coluche
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Lettre d'Expression médicale n°364

Hebdomadaire francophone de santé
20 septembre 2004

Les passeurs de l’ombre
Docteur François-Marie Michaut

Depuis les débuts d’Expression Médicale en 1997, il nous est souvent arrivé de mettre en cause la vision du monde de nos hommes politiques. Au point que, devant des décisions pour le moins discutables en matière de santé, nous avons parfois été taxés d’être des ennemis systématiques de nos élus. Quand le ministre Dominique de Villepin prend la plume (*) pour exprimer sa vision de l’état de notre société et des objectifs des gouvernants, nous lui accordons la plus vive attention, tant cet exercice est, hélas, inhabituel.

Retrouver la confiance:
Même si son évocation lyrique de l’aura populaire des grands hommes politiques du passé n’entraîne pas mon adhésion personnelle, moi qui ai vécu la manière dont l’intelligentsia de France brocardait sans ménagement de Gaulle, le diagnostic général de la situation nationale établi par l’auteur est intéressante et stimulante. Le double règne de l’immobilisme des comportements et du stérilisant esprit de cour des hommes de tous les pouvoirs rejoint nos constatations chroniques de ce qui se passe dans le petit monde de la santé.

Restaurer la conscience
Actuellement, on ne bouge pas, comme si l’immobilité chez nous était une sorte de fatalité. Nos responsables nous donnent l’image déprimante de se contenter de gérer l’existant. Sans souffle, sans âme, sans allant, notre démocratie serait en danger. Le vieil Edouard Herriot sous la 4ème République disait déjà, nous rappelle Villepin : “ On ne stabilise une démocratie que par le mouvement”. Oui, mais un mouvement qui soit animé par une vision globale des relations entre les hommes, et pas par un quelconque catéchisme idéologique de quelque bord que ce soit. De façon qu’on peut qualifier d’utopique ou de naïve, notre ministre utilise son don d’orateur pour nous convaincre de la nécessité d’un sursaut. Nous avons en nous-mêmes, et depuis fort longtemps, des talents que nous ne savons ni détecter, ni utiliser comme ils le méritent. Des gens qui n’ont pas perdu la mémoire de ce qui a fait la grandeur de notre culture française, des gens qui n’ont jamais plié la nuque devant des courtisans, des gens qui, malgré tout ce qu’ils ont vu et vécu comme rejet, mépris ou ignorance n’ont rien perdu de leur vision du monde et de leurs compagnons humains, des gens, enfin, qui ont réussi à développer des perspectives d’avenir intéressantes pour toute la communauté, au lieu de se consacrer à leur seule gloriole personnelle.

Renforcer la compétence:
Ceux-là, notre auteur les nomme joliment des “passeurs”. Comme autant de Charon de la mythologie grecque passant les morts de l’autre côté de l’Achéron pour une simple obole . Passeurs de ce qui a existé dans le passé, de ce qui les a façonnés dans leur existence vers cet avenir que nous construisons tous ensemble. Voilà une notion qui ne peut que ravir les amis et sympathisants d’Exmed, et qui résume ce que nous faisons ensemble au moyen de l’Internet. Nous nous sentons ainsi un peu moins seuls dans notre démarche, et c’est déjà beaucoup. La société d’aujourd’hui, comme celle de demain, c’est ce que chacun de nous réalise dans sa sphère personnelle et strictement rien d’autre. Maintenant, rêvons que, d’un coup de baguette magique, cette lettre parvienne à Dominique de Villepin. A nous de renvoyer la balle à nos hommes politiques. Ouvrez les yeux, il existe déjà des passeurs, en France comme partout ailleurs dans le monde. Ils font leur travail dans l’ombre, jour après jour, sans se laisser impressionner par les hommes de cour qui règnent partout. Votre travail à vous, Monsieur de Villepin, ne s’arrête pas à votre article. C’est à vous de mouiller votre chemise et de faire l’inventaire de tous ces modestes passeurs, non pas pour les faire adhérer à quelque parti que ce soit ( ce qu’ils ne peuvent que refuser) , mais pour mettre leurs talents de passeurs au service de la collectivité. Les idées qu’ils expriment, c’est à vous de les examiner avec soin. Vos experts de cour, c’est à vous de ne les écouter que d’une oreille distraite. Ils ne peuvent que vous mentir, car leur seul objectif est de rester bien en cour Les fous du Roi de notre société, ce sont tous ces passeurs anonymes. Votre rôle de Roi, vous l’avez bafoué en cessant d’être leur proche à qui peut tout vous dit impunément. Car vous leur devez aide et protection pour qu’ils puissent exister, et jouer leur indispensable rôle de révélateurs de la physiologie la moins racontable de notre fonctionnement d’hommes. Vous qui aimez l’histoire, prescrivez donc un nouveau Versailles pour parquer ces messieurs de la cour afin qu’ils jouent ensemble en se neutralisant mutuellement. Et continuez d’avoir autour de vous des Racine, des Corneille, des La Bruyère, des Boileau, des Lully, des Mansard, des Lenôtre, des Molière, et surtout des anonymes de talent . Les moyens actuels de communication sont là pour vous aider dans une telle recherche. Surtout ne la confiez à aucun courtisan : vous n’obtiendriez qu’une collection de courtisans patentés. Et, là, point de sursaut possible : un enfoncement dans l’immobilisme le plus fatal.

(*) L’article de Dominique de Villepin “ Le temps du sursaut” est paru dans le quotidien Le Monde le 15 février 2002. Il a été repris dans Le Monde.fr le 2 septembre 2004. Nos remerciements à notre colistière d’Exmed Christiane Kreitlow qui a attiré l’attention d’Exmed sur ce papier.

l'os court :  « Il est utile à un courtisan d’être un homme plat. Il est désastreux pour une courtisane d’être une femme plate.» Victor Hugo
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Lettre d'Expression médicale n°365

Hebdomadaire francophone de santé
27 septembre 2004

Ça ne se délègue pas
Docteur François-Marie Michaut

Plusieurs cabinets de groupe de médecins généralistes du département des Deux-Sèvres viennent de lancer l’expérience suivante (*). Avec le soutien de l’Union Régionale des Médecins Libéraux, ils ont embauché des infirmières. L’objectif est de répondre à la demande des patients estimant que leur praticien ne leur consacre pas assez de temps pour parler avec eux. Ces collaboratrices salariées sont mises (gratuitement) à la disposition de la clientèle pour les écouter et leur prodiguer des conseils en matière de prévention. Les aspects psychologiques de toutes les pratiques de soins constituent pour ce site une préoccupation constante. C’est pourquoi nous avons demandé aux abonnés à notre liste de discussion, qu’ils soient soignants ou non soignants, de nous donner leur sentiment sur cette initiative. Que soient remerciés de leurs riches contributions à cette réflexion N.Bétrancourt, J.Blais, M.Cossu, P.Deharvengt, M.Marchand, G.Nahmani, B.Poitel, F.Soize et O.Taltawull.

Retrouver la confiance:
Le travail du médecin est avant tout une rencontre. Rencontre avec un humain confronté à un problème de santé qu’il ne peut pas résoudre lui-même. Rencontre qui peut être du même type que celle entre un mécanicien et une automobile récalcitrante. Dans ce cas, il suffit de soulever le capot. Dans le premier cas, le langage, verbal et non verbal comme un sourire, est indispensable. C’est de ce contact que peut naître, ou non, l’indispensable contrat de confiance qui fonde une relation thérapeutique digne de ce nom. C’est à dire capable de se poursuivre, de se développer et de s’enrichir, sans limitation de durée, des années et des années. L’intrusion d’un tiers, quelle que soit sa qualité intrinsèque, dans la relation médecin-malade ampute l’acte médical de son caractère unique. La parole, enfin, faut-il redire une telle évidence, est pour le médecin le moyen d’investigation clinique le plus important dont il dispose. Après avoir écouté, au besoin interrogé le patient et lui avoir fait préciser des points particuliers , le praticien dispose déjà 9 fois sur 10 d’une orientation diagnostique que son travail ultérieur va simplement consister à confirmer ou infirmer. La confiance ne se dilue pas, ne supporte pas de tiers ; c’est une question de personne à personne.

Restaurer la conscience
Les médecins invoquent souvent le manque de temps pour expliquer, sinon justifier, leurs propres insuffisances. L’expérience prouve que ce sont toujours les mêmes médecins qui participent à toutes les activités collectives. Ceux, justement, qui ont une grande activité en clientèle. Alors, le prétexte du manque de temps n’est pas acceptable. Que le médecin ait peur de parler avec son patient parce qu’il est angoissé ou trop bloqué par une problématique personnelle non résolue, c’est humain. Plus matériellement, confier totalement ou en partie, l’aspect relationnel de son travail à une collaboratrice n’est-il pas un moyen d’augmenter le nombre de ses actes médicaux en réduisant ainsi le temps de chaque consultation ? En un temps où l’on cultive l’idée que le médecin libéral doit se comporter comme un patron de petite ou moyenne entreprise, avec les impératifs financiers que cela comporte, ce système d’augmentation du rendement financier peut trouver bien des oreilles complaisantes. A quoi sert le médecin, est-il un simple moyen de servir la grande machine de l’assurance maladie sans se poser de question ? En est-il le sous-salarié ? Est-il, au contraire, le garant d’un autre niveau de conscience, dans lequel la notion d’humain passe obligatoirement avant celui d’équilibre comptable et de rentabilité ? Là, nos utilisateurs de la médecine sont unanimes, ils veulent des médecins qui ne soient pas des esclaves, mais des hommes libres, pour qui “conscience” veut encore dire quelque chose. La conscience ne se brade pas.

Renforcer la compétence:
La question qui se pose, pour que des médecins prennent en charge l’aspect relationnel de leur métier est finalement celle de la compétence. Que cela nécessite quelques capacités de bon contact avec les autres est une évidence, que tout le monde reconnaît ... sauf ceux qui continuent imperturbablement à sélectionner les étudiants en médecine uniquement d’après leurs seules (bonnes) notes en mathématiques, chimie et physique. Le dressage - peut-on le nommer autrement - que subissent pendant des années nos carabins à l’hôpital est simplement celui de bons techniciens de la santé. La dimension humaine de la médecine n’y est qu’un aspect très secondaire, dont il n’est même pas utile de parler. Et qui en parlerait en connaissance de cause, qui pourrait aider à la cultiver parmi nos praticiens enseignants totalement absorbés par leur hyperspécialité ? Juste une poignée de pionniers marginaux. Alors, les jeunes praticiens confrontés directement à la relation humaine dans leur cabinet sont généralement démunis, et doivent inventer eux-mêmes, avec plus ou moins de bonheur, leur propre bagage relationnel. Quand, dans les associations de formation médicale continue de médecins, on réalise des enquêtes sur les besoins des praticiens, tout ce qui est psychologique et relationnel arrive régulièrement en tête. Mais, dans le même temps, au cours du récent choix des postes d’internes en France, parmi les 1000 étudiants ayant obtenu les meilleures notes dans leurs études, seulement 5,5% d’entre eux choisissent comme spécialité d’exercice la médecine générale (**). Répétons-nous, mais tant qu'il n’existera pas en France de chaires de médecine générale nombreuses et puissantes, confiées à de vrais généralistes exerçant en clientèle de ville, “ le relationnel” restera le continent noir de la pratique médicale. Et ce déficit chronique est dramatique tant pour les patients que ... pour le sain équilibre des finances de l’assurance-maladie, messieurs les comptables. Car la recherche systématique des maladies les plus rares dans les cas les plus banals, souvent spontanément curables, est un effroyable gâchis de moyens. Alors, disons-le sans détour, “le relationnel” est un composant majeur de toute pratique médicale raisonnée et raisonnable. Et, comme le dit l’une de nos colistières d’Exmed : « “ Le relationnel” ne se délègue pas, ou ce n’est plus du relationnel... Et une infirmière, hors du contexte de la consultation ne pourra donner que des réponses toutes faites ... ». En un mot, encore une vraie fausse bonne idée, ces infirmières aides-médecins, ou un triste cache-misère d’une médecine libérale en pleine agonie au milieu de l’indifférence générale.

(*) Radio France-Info du 15 septembre 2004.
(**) Quotidien du Médecin du 20 septembre “ Internat, le bide de la médecine générale”

l'os court :  « Personne n'écoute vraiment les autres et si vous essayez une fois, vous comprendrez pourquoi. » Mignon Mc Laughlin