| 
              
               
                Les 
                fabuleux enjeux de la production d'antitélomérase 
                . 
              
            
              
             
             
               
                Mylène Botbol-Baum, 
               
                professeur à l'Unité d'éthique biomédicale 
                de l'Université Catholique de Louvain ( Belgique )  
               
            
            
              
             
             
               
                Ecrire 
                à l'auteur 
              
            
              
            
               
                |  
                   En 
                    France, les questions d'éthique ne passionnent guère 
                    le public. Chacun fait confiance à nos grands et petits 
                    comités d'éthique pour résoudre les multiples 
                    questions qu'entrainent les évolutions technoscientifiques 
                    de la médecine. A moins que nous ne déléguions 
                    les yeux fermés notre pouvoir de choix à nos 
                    élus politiques.Mylène Botbol-Baum, professeur 
                    à l'Unité d'éthique biomédicale 
                    de l'UCL, a bien voulu nous confier ce texte qui est paru 
                    dans la revue belge Démocratie n°15-76 d'aout 
                    2000 sous le titre " Science et éthique " pour que 
                    le débat se poursuive sur l'Internet. Les titres et 
                    intertitres de ce texte sont de la rédaction d'Exmed. 
                   
                     
                      Dr 
                      F-M Michaut 
                    
                  
                 | 
               
             
              
              
              
              
            L'ancien 
              président américain avait interdit la recherche sur 
              les cellules souches, généralement basée sur 
              des foetus avortés. L'an dernier, 67 prix Nobel ont soutenu 
              la firme pharmaceutique Advanced Cell Biology ainsi que l'institut 
              Tissue Engineering and Transplant medicine afin que des fonds publics 
              leur soient octroyés pour la recherche sur cellules souches 
              embryonnaires. S'il paraît légitime que la communauté 
              scientifique refuse de voir sa liberté de recherche limitée 
              par des intérêts électoraux, que penser de cette 
              autorité scientifique visant à infléchir le 
              débat public sur une question qui dépasse la liberté 
              de recherche et implique le pluralisme du choix de valeurs basées 
              sur l'expertise scientifique, mais aussi sur d'autres facteurs ? 
             
               
                Les 
                données biologiques du débat  
              
            
            Tentons 
              ici de donner les éléments de base à la compréhension 
              des enjeux. La spécificité des cellules souches embryonnaires 
              est leur indifférenciation. Cela signifie qu'elles peuvent 
              donner naissance à tous les types cellulaires: elles peuvent 
              devenir une cellule de foie ou d'os (on les nomme cellules «totipotentes»). 
              La maîtrise récente par une firme privée du 
              processus de différenciation de cellules totipotentes en 
              cellules pluripotentes a été qualifiée de «découverte 
              de l'année» par la revue Science. 
            Cette 
              technique comporte des promesses thérapeutiques révolutionnaires 
              pour les patients atteints de diabète, de la maladie d'Alzheimer, 
              du cancer, de la maladie de Parkinson, etc. Ce qui, pour certains, 
              pose problème est l'origine de ces cellules qui proviennent 
              d'un ovule fécondé auquel certaines convictions philosophiques 
              et religieuses attribuent une valeur fondamentale de principe. Il 
              n'existe en effet pour l'instant que deux méthodes fiables 
              pour les obtenir : 
            1° 
              utiliser un embryon créé en vue d'une fécondation 
              in vitro ; quelques cellules sont prélevées au stade 
              où les cellules sont totipotentes (on parle alors de cellules 
              souches embryonnaires mises en culture) 
            2° 
              utiliser des cellules de la lignée germinale sur des foetus 
              avortés qui sont des cellules pluripotentes et non totipotentes, 
              et qui ont donc moins d'intérêt pour la recherche. 
              Cette seconde méthode, courante,est assimilable à 
              l'utilisation de tissus foetaux et est légalisée dans 
              de nombreux pays européens. La première est une technique 
              de clonage qui pose la question du statut de ces cellules embryonnaires. 
            Si 
              elles entrent pour certains dans la catégorie des personnes 
              potentielles, la technique tombe sous l'interdiction du clonage 
              humain. La question fondamentale est de savoir si cette technique 
              relève du clonage thérapeutique ou du clonage reproductif. 
              Si ces cellules souches ont un tel potentiel pour la recherche thérapeutique 
              de demain, y a-t-il une différence philosophique fondamentale 
              à créer des embryons pour la recherche ou à 
              utiliser des embryons congelés qui, s'ils ne sont pas utilisés, 
              risquent de «valser à la poubelle», disent certains 
              chercheurs qui rejettent l'argument de «dignité potentielle» 
              de ces embryons ? Qui est responsable de définir le statut 
              ontologique de ces embryons ? Des régulations doivent-elles 
              être imaginées pour qu'un consentement éclairé 
              des parents à utiliser ces embryons soit possible ? Il me 
              semble que la question éthique fondamentale est le pouvoir 
              des firmes privées à influencer l'orientation de la 
              recherche publique, qui empêche l'État de jouer le 
              rôle de tiers médiateur entre les camps idéologiques. 
             
               
                L'humain 
                , fin ou moyen  
              
            
            Notre 
              sens commun dans les démocraties européennes est juridiquement 
              fondé sur le principe kantien selon lequel l'humain doit 
              être toujours utilisé comme fin et non comme moyen. 
              La recherche sur cellules primordiales serait-elle une violation 
              de ce principe ? Elle a en tout cas fait pencher la balance aux 
              États-Unis vers l'option suivante : « Il n'existe pas 
              de justification éthique forte pour distinguer la création 
              de l'utilisation de cellules souches humaines» . Cette affirmation 
              donne licence aux firmes privées d'avancer dans leurs recherches 
              en clonant les cellules souches embryonnaires prélevées 
              sur embryons congelés ou foetus avortés. Cette décision 
              ne me pose pas problème en termes de rationalité scientifique 
              mais en termes d'organisation politique ou, du moins, de soumission 
              du politique aux impératifs de compétition économique. 
            Cette 
              phrase peut-être lue soit comme un jugement arbitraire permettant 
              d'éviter le conflit de convictions, soit comme la déduction 
              d'une réflexion éthique, ce qu'elle n'est certainement 
              pas. En tout cas, elle opère une révolution copernicienne 
              sur la question de la légitimité de l'expérimentation 
              sur embryon qui tranche une fois pour toutes la question du statut 
              de l'embryon qui a occupé des spécialistes de l'éthique 
              pendant des dizaines d'années à partir du seul critère 
              d'utilité. Elle décide à partir de critères 
              de marchés pharmaceutiques potentiels qu'il faut nier la 
              différence idéologique entre une perspective constructiviste 
              du monde, où l'homme se fait créateur et technicien 
              de sa propre généalogie, et une perspective ontologique 
              traditionnelle où l'homme se pense créature dont la 
              liberté se limite à reproduire fidèlement l'ordre 
              du monde. Plus encore, elle pose un choix éthique pour tous 
              sans motivation éthique. Ce n'est évidemment pas un 
              argument philosophique qui est à la base de la motivation 
              du changement de définition du statut de l'embryon. Comme 
              nous le verrons, des enjeux bien plus pragmatiques d'avancées 
              en termes de recherche dont l'impact économique est colossal 
              et les retombées thérapeutiques «prometteuses» 
              apparaîtront comme le véritable enjeu de ce débat 
              sémantique. 
             
               
                Vieillissement 
                chromosomique, télomères et antitélomérase 
                 
              
            
            Pour 
              pouvoir se prononcer de manière libre sur ce débat, 
              nous devons rappeler que la recherche portait d'abord sur la compréhension 
              du processus de vieillissement des «télomères» 
              qui sont à l'extrémité de nos chromosomes. 
              On s'est aperçu qu'ils pouvaient se régénérer 
              provisoirement grâce à une enzyme nommée «télomérase» 
              qui immortalise la cellule, au sens où elle stoppe le processus 
              de vieillissement en réactivant le processus de division 
              cellulaire si actif dans les cellules embryonnaires. Il semblait 
              donc légitime en termes de rationalité scientifique 
              d'utiliser des cellules embryonnaires afin de «régénérer» 
              des personnes âgées atteintes de maladies dégénératives, 
              cela sans se poser la question de savoir si le processus cellulaire 
              se répercute nécessairement sur l'ensemble de l'organisme 
              (3). Il faut savoir que chaque fois qu'une cellule se divise elle 
              perd quelque chose de vital, des morceaux d'ADN appelés télomères 
              qui servent de protection aux extrémités des chromosomes. 
              Après une centaine de divisions, les télomères 
              sont si abîmés «qu'ils ressemblent à des 
              lacets qui auraient perdu leur extrémité protectrice». 
              Ces cellules meurent, à moins que, comme les cellules cancéreuses 
              immortelles, elles ne produisent de la télomérase 
              (prélevée chez des patients cancéreux ou atteints 
              de maladies dégénératives comme la maladie 
              d'Alzheimer) (4), une enzyme qui protège et éventuellement 
              reconstruit les télomères. Les scientifiques rêvent 
              depuis longtemps d'isoler cette enzyme immortalisante afin d'arrêter 
              le processus de division des cellules cancéreuses, ce qui 
              est imaginable aujourd'hui grâce aux informations collectées 
              par la recherche sur cellules souches. La firme privée américaine 
              Geron recherche des composants antitélomérases depuis 
              de nombreuses années. C'est parce que ce sont les cellules 
              tumorales qui produisent la télomérase en doses infimes 
              que les scientifiques manquaient de télomérase pure 
              et tentaient de la reproduire, ce qui était extrêmement 
              difficile. Avec l'identification de ce nouveau gène et le 
              brevet de Geron, la protéine pourra, grâce aux nouvelles 
              techniques de séquençage, être clonée 
              à l'infini. À partir de ce moment, la cellule primordiale 
              apparaît comme une fontaine de jouvence infinie mais, aussi, 
              représente un formidable marché pour les firmes pharmaceutiques 
              qui ont compris que la clientèle la plus consommatrice de 
              rêves pharmaceutiques était la population âgée 
              des pays développés (les autres ont rarement le temps 
              de vieillir). 
             
               
                Le 
                brevet de Geron sur les cellules souches embryonnaires  
              
            
            Ce 
              n'est qu'en novembre 98 que le brevet sur les cellules souches embryonnaires 
              a attiré l'attention des médias. Pour prévenir 
              l'émergence d'un discours sur le principe de précaution 
              qui aurait pu entraver les recherches, Geron 
              a créé un comité d'éthique interne ayant 
              pour fonction d'anticiper les questions éthiques du public 
              et d'y répondre. Cet acte original pose la question de l'interaction 
              entre recherche sur fonds privés et sa légitimation 
              publique, et l'assurance de la transparence des pratiques internes. 
            Le 
              potentiel thérapeutique du clonage de cellules souches lui 
              a permis de racheter des firmes telles que Clontech, ou le Roslin 
              Institute, ou de s'y associer. Ces enjeux économiques n'en 
              font pas un partenaire particulièrement désintéressé 
              aux enjeux d'une réflexion éthique sur la légitimité 
              des recherches qu'elle effectue. L'astuce sémantique est 
              de ne pas appeler les cellules souches cellules embryonnaires mais 
              cellules souches primordiales. 
            Nous 
              avons à nous interroger sur la pertinence de ce glissement 
              sémantique en nous demandant s'il permet effectivement de 
              séparer épistémologiquement, de manière 
              satisfaisante pour la raison, le clonage thérapeutique et 
              le clonage reproductif auquel la firme dit clairement s'opposer. 
              Cette découverte de l'effet des télomères et 
              de la possibilité qu'elle donne de dériver des cellules 
              souches embryonnaires est sans conteste une découverte qui 
              ouvre de nouvelles possibilités thérapeutiques. 
            Nos 
              questions subsidiaires restent : le comité d'éthique 
              interne à Geron peut-il être indépendant et 
              fonctionner comme tiers désintéressé ? Pour 
              le comité de Geron (5), il est éthiquement acceptable 
              de faire des recherches sur cellules souches embryonnaires si certaines 
              conditions sont remplies, parmi lesquelles le respect dû au 
              tissu embryonnaire précoce, le consentement éclairé 
              des femmes et des couples quant à l'utilisation des blastocytes, 
              l'absence de clonage à visée reproductive, le respect 
              pour le principe de justice globale et l'approbation de la recherche 
              par un comité d'éthique indépendant en plus 
              du comité d'éthique local. Que penser de telles régulations? 
              Ont-elles une valeur dépassant la pétition de principe 
              si l'on pense au contexte dans lequel elles ont été 
              élaborées ? Actuellement, trois écoles s'affrontent 
              sur la question du devoir de protection des blastocytes. D'un côté, 
              il y a ceux qui accordent un statut ontologique à la conception 
              où s'unit le patrimoine génétique des deux 
              parents (genetic school). De l'autre, il y a ceux qui séparent 
              le statut ontologico-moral et la vie, n'accordant de statut moral 
              qu'à la personne au stade d'un développement plus 
              tardif et par étapes du blastocyte au foetus (école 
              developpementale). Enfin, il y a ceux qui partagent avec l'école 
              développementale l'idée de la personne intégrée 
              uniquement dans un processus, mais refusent que la notion de personne 
              soit définie biologiquement et s'appuient sur une vision 
              constructiviste et existentielle de la personne dans une société 
              donnée. 
            Une 
              approche pluraliste aurait tendance à privilégier 
              dans l'ordre les positions 3 et 2 et refuserait qu'un seul critère 
              puisse définir pour tous la signification à donner 
              à l'origine humaine de ces cellules. Le comité d'éthique 
              de Geron a choisi la position 2, proche des traditions légales 
              qui offre une protection à l'embryon lié à 
              son stade de développement. Le principe du respect impliquerait 
              donc différentes obligations selon le stade de développement. 
              Ce qui est en cause n'est pas le principe de vie mais le degré 
              de protection dû à cette vie selon son degré 
              de développement.  
            Pour 
              justifier la recherche sur cellules souches, le critère de 
              départ est sa finalité : réduire la souffrance 
              humaine. Ce que permettra probablement l'application de cette recherche 
              en termes cliniques et pharmaceutiques. Cela ne permettra pas de 
              faire l'économie d'une différenciation symbolique 
              claire entre blastocyte et embryon. 
            Participant 
              aux débats sur le statut de l'embryon dans les années 
              80, un philosophe anglais, agacé par le débat principion, 
              a voulu partager ses collègues en racontant l'anecdote suivante 
              : «Si votre labo prend feu et que vous avez le choix entre 
              sauver cent embryons congelés et un enfant qui pleure dans 
              sa poussette, que ferez-vous ?» Le bon sens de la réponse 
              a permis de développer l'argument d'un degré relatif 
              au degré développemental de l'embryon. 
              
             
               
                Devenir 
                des tissus collectés après avortement et cellules 
                souches, un débat public s'impose  
              
            
              
            Ce 
              qui est en jeu dans le débat éthique est l'aspect 
              problématique de tissus collectés après avortement 
              sur lequel le conflit de convictions continue de faire rage. Geron 
              insiste sur la différence que constituent les cellules dérivées 
              d'embryons créées pour un but clinique puis données 
              à la recherche.  
            Comment 
              repenser alors la responsabilité de la santé publique 
              et des citoyens en général devant les instances qui 
              exercent cette recherche avant tout débat public et qui le 
              soumettent à des (contes de) faits dont l'évidence 
              implique un espoir, donc une valorisation en termes de possibilité, 
              et évacue la question de savoir si la recherche envisagée 
              est souhaitable. En d'autres termes, peut-il y avoir un débat 
              sur les cellules souches comme il y a un débat sur les OGM 
              ? Nier cette question serait déjà faire pour le public 
              le choix de l'idéologie du progrès. Pourtant, un langage 
              de précaution à ce stade sevrait simplement une exigence 
              de progrès responsable et non un repli frileux devant le 
              vertige du possible. 
            Il 
              est alors essentiel de se demander si la recherche sur cellules 
              primordiales pose une question scientifique ou éthique. Une 
              description scientifique peut-elle à elle seule annuler la 
              pluralité des options éthiques ? Si les cellules souches 
              sont considérées comme embryons, elles ont un statut 
              moral supérieur au scénario 2 où elles sont 
              des organes-moyens. Il s'agit là d'une vision plus fonctionnalise 
              tant que la fécondation n'est pas suivie d'une nidation. 
              Cette liberté nouvelle, née des responsabilités 
              émergentes face auxquelles nous mettent les avancées 
              biotechnologiques, doit être pensée collectivement 
              pour ne pas laisser la réponse aux conflits d'interprétation 
              masqués par des «évidences scientifiques» 
              dont nous savons qu'elles ne sont plus neutres, car elles n'opèrent 
              plus dans l'espace libre et déconnecté du seul labo 
              de recherche; service public par définition, mais dans l'intérêt 
              de firmes privées dont le moindre souci, il est vrai, n'est 
              pas de satisfaire ses clientsÉ Mais là encore, un client 
              et un citoyen n'ont pas les mêmes prérogatives : un 
              client est roi tant qu'il peut payer, un patient l'est tant que 
              ses droits fondamentaux à la solidarité sont protégés 
              par un tiers. Il semble que nous ayons assez d'éléments 
              pour établir cette différenciation qu'il reste à 
              traduire en termes juridiques. La question éthique qui subsiste 
              est celle de la production possible en termes socialement pertinents 
              d'une telle différenciation. Nous devons pour cela réfléchir 
              en dehors des paramètres que nous propose Geron ou n'importe 
              quelle autre firme privée qui se trouve nécessairement 
              en position de conflits d'intérêts, cela afin de prendre 
              une distance réflexive par rapport aux faits indéniables 
              que propose ce prolongement de l'état de différenciation 
              cellulaire que Geron a breveté. 
              
             
               
                Mondialisation 
                de la marchandisation de la santé et rôle du politique 
                 
              
            
              
            C'est 
              pourquoi, face à la mondialisation de la marchandisation 
              de la santé, il est urgent d'établir une éthique 
              globale. La position de realpolitik, à laquelle la plupart 
              des pays voisins se joignent pour ne pas s'exclure des bénéfices 
              économiques de la recherche, sort du scénario éthique 
              de la responsabilité globale. Les progrès de la recherche 
              auxquels nous accordons, dans notre société, une valeur 
              éthique doivent garder pour finalité d'éliminer 
              toute souffrance inutile, mais c'est au rôle du politique 
              de mettre des priorités supranationales aux pathologies qui 
              doivent être traitées en priorité. Un choix 
              s'impose qui rend conciliable le devoir de recherche et le devoir 
              de protection de l'idée globale de dignité de l'humain. 
              Cette idée est-elle absolue ? Devant le manque de réponse 
              à cette question, des choix pragmatiques se font. Il semble 
              que la plupart des pays ont effectué ces choix sans en informer 
              le public : l'Angleterre vient de lever l'interdit sur la création 
              d'embryons pour la recherche et la France modifie ses lois de bioéthique 
              dans ce sens. Que fera la Belgique ? Ce sera probablement le prochain 
              débat parlementaire où la question de qui exercera 
              le contrôle sur l'utilisation du tissu embryonnaire devra 
              s'ouvrir sur une information et un débat public. Et au-delà 
              de la régulation des pratiques, nous serons confrontés 
              à la question : que devient l'humain à l'ère 
              de la reproduction asexuée ? Comment éviter de faire 
              de la politique au nom de la science ? Nous devrons affronter le 
              débat des cellules souches au-delà de l'affrontement 
              stérile technophobie/technophilie, en nous rappelant que 
              c'est l'artifice technique qui nous a toujours permis d'humaniser 
              la Nature. La question biopolitique fondamentale reste de savoir 
              comment élaborer une bioéthique préventive 
              afin que ces recherches ne contribuent pas à élargir 
              l'écart entre ceux que ces techniques permettent de passer 
              à l'ère de la transhumanité et ceux qui risquent 
              d'en être exclus à jamais. 
              
             
               
                Ecoéthique 
                et équité  
              
            
            Une 
              écoéthique doit rappeler que la nature, même 
              transformée par les sciences, reste l'espace ou s'élabore 
              un monde commun. Notre horizon doit être l'évaluation 
              de la légitimité de recherches dont les applications 
              risquent d'accentuer les privilèges de ceux qui vivent déjà 
              le mieux et le plus longtemps et font de l'ombre par exemple aux 
              millions de sidéens qui ne peuvent pas bénéficier 
              des produits déjà existants et rentabilisés 
              de la rechercheÉ 
            Sans 
              vouloir rouvrir le vieux débat «aller sur la lune ou 
              nourrir les enfants biafrais», il reste vrai que si nous faisons 
              le choix politique de dire que l'humanité est une, nous devons 
              mettre des priorités à l'attribution de crédits 
              de recherche en termes de justice distributive. La recherche sur 
              cellules souches? Oui, mais pour qui, comment, dans quel projet? 
              Est-il légitime que l'individualisme moteur d'un certain 
              capitalisme nous permette de vivre de plus en plus longtemps dans 
              l'indifférence par rapport à ceux dont l'avenir est 
              de mourir de plus en plus jeunes ? Comme le dit Amartya Sen (6) 
              : la question économique est une question hautement éthique, 
              qui ne doit pas être gérée par les seules firmes 
              pharmaceutiques à qui ni la nature ni les valeurs sociales 
              ne peuvent appartenirÉ 
            Il 
              nous faut rester vigilants au fait que notre recherche de bonheur 
              puisse rimer avec équité globale. 
             
             
              Mylène 
              Baum  
               
            
            
            1. 
              Voir à ce propos les publications d'Isabelle Stengers dans 
              la revue Alliages et le livre de Bruno Latour Politiques de la nature. 
              Comment faire entrer les sciences en démocratie?, Éd. 
              La Découverte, Paris, 1999. 
            2. 
              National bioethics Advisory Commission, Ethical issues in stem cell 
              research, final report 1999 (cité par la recherche Mars 2000). 
            3. 
              Voir à ce propos l'article du Monde du 7 juin 2000, Vivre 
              plus vieux et mieux vieillir, les pistes ouvertes par la recherche. 
              Voir également la revue Nature du 27 juillet 2000 qui insiste 
              sur le bénéfice thérapeutique des cellules 
              souches pour les maladies dégénératives du 
              cerveau, qui rendent les cellules du cerveau foetal «si intéressantes» 
              pour le remplacement de cellules défectueuses. Cet article 
              souligne notamment que les problèmes éthiques que 
              posent ces techniques pourraient être résolus techniquement 
              en redirigeant les cellules souches présentes en chaque personne 
              adulte vers les zones défectueuses. 
            4. 
              Ce qui pose d'autres problèmes d'expérimentation sur 
              patients incompétents dont je ne peux parler ici mais que 
              le lecteur doit avoir à l'esprit. 
            5. 
              Cf. le site Web de Geron : http 
              ://www.geron.com/ ainsi que le dossier spécial établi 
              par le Hasting Center Report, une revue de bioéthique américaine. 
            6. 
              Voir notamment Amartya Sen, L'économie est une science morale, 
              Éd. La Découverte, 1999 et Van Parijs Qu'est-ce qu'une 
              société juste?, Éd. Seuil, 1991. 
             |