Sciences, médecine, religieux
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Philosophie des sciences, de la médecine et du religieux

Dr François-Marie Michaut (MD) répondre

La réforme des études médicales ( et d'ingénieur) en France prévoit d'introduire l'étude de la philosophie des sciences dès le premier cycle à partir de 2001. Le besoin de disposer de professionnels de la santé capables d'une certaine perception de l'ensemble de leurs disciplines et pratiques est ainsi reconnu comme un besoin de nos sociétés. Tout se passe comme si l'excellence technique, la technoscience exclusive, ne suffisaient plus tout à fait dans la réalité des patients pour former de vrais professionnels du soin aux autres. C'est un état d'esprit relativement nouveau dans la langue de nos gouvernants.
 
Exmed estime que les praticiens en exercice, tout comme leurs patients, doivent eux aussi pouvoir s'intéresser à cette dimension philosophique et religieuse, au sens le plus large, de la médecine, et des sciences en général. Leurs décisions, fondées sur une connaissance moins étroite, risque d'être plus pertinentes pour soigner leurs patients et mener une vie professionnelle, voir personnelle, plus heureuse. L'Internet, avec ses avantages et ses limites peut y apporter sa contribution. C'est ce que nous tentons de faire ensemble ici.
 
Cette page du Site Expression médicale souhaite apporter quelques éléments et outils de réflexion aux professionnels de la santé déjà en activité professionnelle, aux étudiants et à tous ceux qui auraient envie d'en savoir un peu plus sur certains aspects de l'envers du décor officiel. La méthode utilisée est celle d'un itinéraire intellectuel simplement balisé par la présentation succincte d'un certain nombre d'ouvrages connus, ou moins connus. Ce choix initial est strictement personnel, et n'engage que son auteur.

A chacun de vous d'y apporter sa pierre personnelle, s'il le désire. FMM


Cette page n'est pas conçue comme figée. Elle est progressivement enrichie de vos réactions, ajouts et propositions.

 

Définir la mort, un débat majeur de notre temps - 10 octobre 2002
Alberto Asero
Docteur en philosophie,


Ce texte a été confié à Exmed par son auteur, afin d'être mis à la disposition des internautes de langue française. La question de la mort n'attire pas particulièrement le public, mais en matière de santé, il est difficile de ne pas en débattre. Notre liste de discussion exmed-1 est à votre disposition. Alberto Asero, philosophe de nationalité italienne né en 1976, est assistant de bio-éthique à l'Université de Turin, chercheur indépendant, et également journaliste indépendant pour la presse grand public et la presse médicale. Traduction en français de l’auteur. Adaptation et titre de la rédaction d’Exmed. Pour contacter l'auteur : alberto.asero@tiscali.it .



Il n’y a que depuis quelque mois, avec l’adoption de la loi belge du 16 avril 2002 concernant l’euthanasie , que les journaux ont recommencé à parler de la question de la mort. Cependant, si on parle surtout de ce qui concerne la volonté d’autonomie du mourant – son « droit » de mourir – on ne parle que rarement de tous les mouvements de pensée souterrains concernant la théorie elle-même de la mort . La fin du XX siècle a vu, à la croisée des chemins entre les progrès de la médecine et le débat bioéthique, entre médecine et philosophie, le rapide déclin non seulement de l’ancien critère cardio-circulatoire (le cœur a toujours été l’ultimum moriens) pour l’ établissement de l’état de mort, mais aussi de la définition physiologique de la mort.

En 1968, à l’Université de Harvard , une Commission ad hoc a rédigé un rapport dans lequel ses membres exprimaient la nécessité d’abandonner la canonique définition cardio-circulatoire de la mort et d’adopter celle qu’il ont appelée cérébrale. Si le cerveau est le vrai centre de commande de l’organisme entier, la perte irréversible de ses fonctions indique le point à partir duquel il n’y a aucune possibilité de retour et de guérison. Le coma dépassé devenait le nouveau critère de mort. C’est à dire que la mort peut survenir même longtemps avant que notre coeur se soit arrêté. Il y a eu deux raisons à ce choix. La première concerne les effets indésirables auxquels amènent fréquemment des techniques de réanimation de plus en plus évoluées. Dans beaucoup de cas on parvient à « un individu dont le cœur n’a pas encore cessé de battre, mais dont le cerveau est endommagé de façon irréversible ». Certains patients, en effet, au lieu de retrouver la vie, basculent vers un état d’inconscience complète, de silence nerveux.
D’autre part, soutenir artificiellement les fonctions vitales des patients en état de coma irréversible entraîne des coûts pour la société décidément trop élevés, dont l’émergence de « controverses pour l’obtention des organes pour la transplantation » n’est pas le moindre ( peu auparavant Barnard avait réalisé le premier dans l’histoire de la médecine une transplantation de coeur humain).
En même temps, tandis que le vent de la nouvelle définition souffle entre l’ approbation et le rejet, de plusieurs côtés on commence à douter que, même si les experts de Harvard ont ouvert le chemin le meilleur, ils n’ont quand même pas été capables de le suivre jusqu’au bout. Il est en effet bien vrai – on le dit – que si le cerveau est l’organe décisif dans la survenue de la mort, ce n’est vrai que par rapport aux fonctions majeures que le troncoencéphale assure à l’économie de l’organisme tout entier. Par exemple, la respiration et l’activation de l’écorce cérébrale . La définition cérébrale totale est trop exigeante : il faut se rendre compte – voilà la conclusion – qu’il n’est guère nécessaire d’attendre la mort du cerveau tout entier, la perte du seul tronc cérébral étant par contre suffisant . A côté de la définition cérébrale totale de mort (et comme précision de celle-ci), va s’affirmer la notion de mort tronco-encéphalique.
L’histoire avance, mais les problèmes posés par les nouvelles définitions n’échappent pas au regard critique de certains chercheurs de notre époque. De plus en plus on dénonce ( même si c’est ce qu’on utilise aujourd’hui) le caractère tout à fait pragmatique que ces définitions sous-tendent, et, en même temps, l’écart qu’elles introduisent entre la mort humaine et celle de tout autre être vivant. Cependant, elles s’imposent – soit dans la culture médicale, soit dans la loi de nombreux pays.
D’ailleurs, parmi les partisans du « nouveau courant » on remarque parfois le fait que, au regard de la théorie, la définition cérébrale totale aussi bien que la définition tronco-encéphalique, ne représentent guère, par rapport à l’ancien critère cardiaque, une rupture, mais plutôt une mise à jour : elles partagent, en effet, l’idée que la mort arrive lorsque l’organisme cesse de fonctionner comme un tout intégré. C’est à dire que les définitions jusqu’ici proposées ne sortent pas d’une conception physiologique de la mort.
Un nouveau courant de pensée arrive bien plus tard, quand l’idée de mort corticale – celle-ci vraiment nouvelle – commence à se répandre. De façon remarquable, il s’agit du passage de la conception physiologique à la conception psychologique de la mort.
La réflexion (médicale et philosophique) à propos des cas, de plus en plus fréquents, des patients en « PVS » (Persistent Vegetative State) – ceux dont l’écorce cérébrale a été détruite et qui, même s’ils demeurent apparemment vigilants, ne montrent aucune activité mentale – conduit à mêler une certaine philosophie de la personne ( celle qui poursuit la voie ouverte par Locke- la personne est « un être pensant et intelligent, doué de raison et de réflexion, qui peut considérer lui-même comme lui-même, c’est à dire la même chose pensante, en des temps et des lieux différents ») à la définition de la mort, ce qui se traduirait par un doute. Faut-il distinguer entre la mort de la personne et celle de l’organisme, les deux ne coïncidant pas forcément ? Si nous sommes des personnes, et si la personne est sa psychologie, notre mort coïncide avec l’arrêt de notre existence psychologique, quel que soit le destin de l’organisme – de ce qu’on appelle parfois vie, continue. D’ailleurs – continuent les partisans de la définition corticale – si l’irréversibilité a toujours été considérée comme importante (et à juste titre) , la caractéristique propre de la mort, un choix se révèle d’une certaine façon obligatoire. L’irréversibilité n’est vraiment telle que par rapport à la destruction du cortex, dont les fonctions (et premièrement, la conscience) ne pourront jamais être remplacées par aucune technique. Alors que, par exemple, beaucoup de fonctions tronco-encéphaliques ont déjà été remplacées (la respiration, certaines fonctions neurologiques, l’ont déjà été depuis longtemps ), et le tronc entier – selon certains neurologues – pourra un jour l’être lui aussi. Alors que la conscience ne pourra jamais être remplacée par aucune technique.

Encore ouvert, il est difficile, bien sûr, de prévoir quelle issue aura le débat autour de la définition de la mort, car nombreuses sont les dimensions du problème – du problème technologique de diagnostic de mort corticale au problème philosophique concernant la définition de la personne et au problème social du danger que la notion de mort soit étendue arbitrairement, jusqu’à englober des états psychologiques simplement anormaux. C’est d’ailleurs avec les mots de C. A. Defanti, neurologue italien très connu dans l’Europe du débat bioéthique sur la définition de la mort (et partisan de la mort corticale), qu’on peut conclure ce petit parcours historique et théorique dont la fin reste encore à écrire : « la conception de mort corticale est un paradigme des bouleversements que la révolution biologique est en train d’apporter dans notre civilisation ».


Ethique de l'Internet santé Philippe Eveillard Ellipses 2002

 

Voici avec l'autorisation de l'auteur et de l'éditeur, un extrait de "Ethique de l'Internet santé", un ouvrage du Dr Philippe Eveillard publié aux Editions Ellipse en juin 2002, et qui a fait l'objet de la LEM 253 LEM 253 du 5 août 2002.

Bonne lecture.

 


Comment aborder la réflexion éthique sur « Médecine et Internet » ?

En médecine, le développement explosif de l’Internet a eu pour conséquences :
- de rendre disponible pour tous une information médicale d’une très grande richesse mais de qualité très inégale ;
- d’inciter les patients et les médecins à dialoguer par messagerie électronique interposée ;
- de faire naître une foule de communautés de patients au sein des espaces de débat ;
- de développer des projets de circulation des données médicales sur le réseau.
La réflexion éthique porte sur ces conséquences.
Avant d’aborder cette réflexion, on ne peut ignorer les manquements aux règles de bonne conduite qui se sont multipliés sur l’Internet depuis que le commerce a pris la place de la science. Ces règles, adoptées par les pionniers et entretenues par la tradition, relèvent plus de « l’étiquette » que de l’éthique. Il n’en demeure pas moins que les entorses à la « netiquette » laissent le champ libre à toutes les déviances. Et les sites santé ne sont pas épargnés. Certains ont même pris modèle sur la e-pornographie : codes d’accès, barrières, produits dérivés, référencement trafiqué.
Le chapitre « de la science au commerce » fait le point sur ces dérives et propose un modus vivendi pour le financement de la formation médicale.
Dès les premiers temps de la Toile s’est manifesté le besoin d’évaluer la qualité de l’information de santé. Aujourd’hui, les critères de qualité et les principes éthiques ne manquent pas. Seule fait défaut l’application pratique, car la validation de chaque document médical de la Toile relève de « Mission impossible ». Quant à la labellisation des sites, elle est inadaptée à l’information médicale qui exige : pertinence, transparence et « evidence » (preuves) pour chaque document mis en ligne.
Pour sortir de cette impasse, il faut :
- recourir de préférence à l’information médicale issue des institutions (sociétés savantes, universités, organismes sociaux) ;
- demander aux médecins traitant de participer à l’information de leurs patients en proposant à ces derniers une sélection de liens ;
- apprendre aux patients à distinguer le bon grain de l’ivraie (éducation à l’analyse critique).
Le chapitre sur « l’échec des "trigger happy legislators" » aborde dans le détail ces données sur l’information médicale.
La messagerie électronique inaugure un nouveau type de communication médecin-patient.
Le médecin traitant n’a pas l’exclusivité des réponses aux interrogations des patients par mail interposé. Les cyberdocteurs qui sévissent sur la Toile « marchande » ont aussi la faculté d’échanger des messages électroniques avec les patients, mais leur champ d’action est beaucoup plus étriqué. Car, pour rester fidèle à la tradition médicale française (pas de diagnostic ni de traitement sans examen physique), les portails santé de l’Hexagone n’ont pas souhaité que les cyberdocteurs aillent au delà de l’information. Ce qui explique, en partie, leur modeste activité (si modeste ces derniers mois qu’elle a failli s’éteindre). Dans un contexte de protection sociale différent, les cyberdocteurs nord américains résistent mieux que leurs collègues français à la baisse d’audience des services « questions-réponses ».
Après avoir fait beaucoup parler d’elle et mobilisé les forces vives ordinales, la communication médecin-patient par l’intermédiaire de la messagerie électronique est en attente de la « killer application » qui lui fera prendre son envol.
Les aspects éthiques et déontologiques de cette communication sont évoqués dans le chapitre intitulé « le cyberdocteur, le praticien et la communication médecin-patient ».
Les espaces d’échange et de débat permettent à chaque internaute de s’exprimer et de dialoguer avec ses pairs. Ainsi se constitue au sein des listes de diffusion et dans les forums hébergés sur la Toile des communautés d’internautes rassemblés autour d’un thème.
Pour les malades, ces espaces représentent :
- un soutien psychologique d’autant plus fort que les ressources thérapeutiques qui leur sont proposées sont faibles ou épuisées ;
- une source d’information d’autant plus riche que la maladie dont ils souffrent est largement documentée.
Le chapitre intitulé « compassion et information » rend compte des services rendus par ces communautés virtuelles de patients, en particulier par les Online Patient Helpers.
La messagerie électronique est le moyen qui sera utilisé, demain, pour faire circuler les données des patients.
Aujourd’hui, les problèmes sont techniques car les possibilités d’échanges entre les dossiers restent le problème majeur dans un pays (la France) où existent plus de 200 modèles de dossiers.
Demain, les problèmes seront éthiques car il reste à déterminer :
- quel système va sécuriser les données (respect du secret médical) ;
- à qui appartiennent ces données (au patient, au médecin qui les recueille, au tiers de confiance qui les héberge ou aux organismes payeurs ?) ;
- qui va bénéficier du traitement informatique de ces données (la Santé publique, la Sécurité sociale ou le marketing pharmaceutique ?).
Tous ces interrogations sont développées dans le chapitre sur les données médicales des patients : « les droits des malades au cœur du débat ».
L’Internet a permis à l’information, aux échanges et à la circulation des données de progresser de façon notable. Mais, toutes ces avancées doivent être discutées en fonction de l’environnement socioculturel et médical dans lequel évolue le patient. Il faut s’interroger sur la réalité de ces avancées :
- quand rien n’est entrepris pour réduire la fracture entre ceux qui savent chercher un document et ceux qui ne savent pas et entre ceux qui savent critiquer une information et ceux qui ne savent pas ;
- quand, bien que mieux informés, mieux entourés et plus autonomes, les patients continuent de se heurter à des praticiens persuadés qu’ils sont les seuls à savoir ce qui est « bon » pour leurs malades.
Si l’Internet dispose de quelques atouts pour améliorer la qualité de vie des patients, les influences ne manquent pas pour modifier dans un sens ou dans un autre la perception de cette qualité.
Dans le chapitre « plus autonome grâce à l’Internet ? » sont discutées les capacités de l’Internet à changer la vie des patients en leur facilitant la « gestion de leur capital santé » (empowerment).
La qualité de l’information de santé et la confidentialité des données médicales sont les deux principes éthiques qui ont fait couler le plus d’encre au sujet de la médecine sur l’Internet.
A la lecture des lignes précédentes, on peut se demander si ces principes ne sont pas l’arbre qui cache la forêt et si la réflexion éthique ne doit pas plutôt se porter sur :
- la liberté d’accès aux sites de la Toile (des critères éducatifs, professionnels ou économiques doivent-ils intervenir dans l’accès à certains sites ?) ;
- les difficultés liées à la recherche documentaire (les négligences des Maîtres Toile doivent-elles continuer de pénaliser les internautes ?) ;
- la propriété des données médicales (les praticiens peuvent-ils transmettre à des tiers les données de leurs patients sans que ceux-ci aient donné explicitement leur accord ?) ;
le comportement traditionnel des praticiens ( la relation « dominante » ne devient-elle pas anachronique quand les patients s’efforcent d’acquérir plus d’autonomie dans la gestion de leur capital santé ?).

Fin de citation

 



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Contributions :

 

La question centrale de l'épistémologie en médecine

Date : Sam 12 fév 2000 10:58

Merci d'ouvrir cette rubrique -philosophie des sciences, de la médecine et du religieux ; en fait de philosophie, c'est l'épistémologie qui me semblerait la discipline la plus utile pour les médecins pour :

- comprendre ce qu'est une réduction en science,

- comprendre comment on établit un modèle,

- comprendre que coexistent forcément plusieurs modèles,

- comprendre qu'une expérience s'inscrit toujours dans le cadre d'un modèle d'où les limites à son interprétation,

- comprendre , surtout , comment une méthode d'évaluation dans un modèle n'est pas valable pour un autre ,

- comprendre , à partir de là, comment l'homme est complexe et se méfier des enthousiasmes excessifs pour tel ou tel modèle selon les effets de mode ( et les intérêts financiers des chercheurs qui veulent promouvoir leurs démarches particulières ) ; dans mon champ, la psychiatrie, cette réflexion est devenue cruciale tellement les partisans de la psychiatrie biologique veulent imposer leurs méthodes d'évaluation aux études dérivées d'autres modèles que le leur, sous couvert de l' Evidence-Based Medicine (EBM), la "Médecine fondée sur un haut niveau de preuves" à la mode anglo-saxonne .

Dr J.Louys modérateur de psy-site


  • Nota : Les titres d'ouvrage ( en gras) et les noms d'auteur sont de couleur rouge
      Chercher la compréhension et la limpidité :

Éclaircissements , Michel Serres François Bourin 1992, 297 pages

Dans cinq entretiens avec Bruno Latour ( également philosophe ) sur la formation, la méthode, la démonstration, la fin de la critique et la sagesse, il est possible de faire connaissance avec la pensée d' un célèbre hybride des deux formations scientifiques et littéraire, souvent jugées inconciliables. De quoi faire mettre en cause un certain nombre de tabous et d'idées toutes faites remontant au temps de qu'on nommait joliment nos humanités, dont celui , fort répandu en médecine, de l'inintelligibilité des écrits philosophiques .

Évolution des idées en médecine :

Histoire de la médecine, Charles Lichtentaeler traduction de Denise Meunier, 1978 Fayard, 612 pages

Un ouvrage phare d'un universitaire allemand reprend les 20 conférences de son enseignement aux étudiants d'Hambourg et de Lausanne. Très bon exercice d'assouplissement intellectuel pour balayer quelques idées préconçues sans s'encombrer d'érudition historique. Pour l'auteur, le tournant important se situe avec les conceptions de François Magendie, physiologiste et neurologue français, 1783-1855. La dérive progressive de la médecine vers une pratique d'ingénieurs biomédicaux est solidement démontrée.

Histoire de la découverte de l'inconscient , Henri F. Ellenberger , 1994 Fayard , 975 pages Titre original : The Discovery of the Unconscious. The history and Évolution of Dynamic Pyschiatry. Basic Books. Harper Collins Publisher Inc. 1970

Probablement l'une des plus grandes aventures conceptuelles de la médecine du siècle dernier. Vaste voyage de Messmer à Puségur, Charcot, l'Ecole de la Salpétrière, Pierre Janet et l'analyse psychologique, Sigmund Freud et la psychanalyse, Alfred Adler, le généraliste, et la psychologie individuelle, Carl Gustav Jung et la psychologie analytique, les rivalités entre les écoles germaniques et française, et toute l'évolution du XXème siècle. Le tout dans un langage clair, dépourvu de tout jargon rébarbatif. Base de travail utile , notamment pour qui s'intéresse à la médecine psychosomatique.

A propos du spirituel et du religieux :

Traditionnellement, dans le droit fil de la pensée positiviste du XIXème siècle, la médecine, comme " la science" est athée. Le religieux, au sens large du terme, ce qui relie, est tellement intriqué de fait dans les questions de santé et de maladie que les médecins ne peuvent pas faire comme si cette dimension de l'humain n'existait pas. Les ouvrages retenus ici sont de ceux qui ne supposent pas du lecteur une démarche de l'ordre de l'acte de foi, mais l'entraînent dans une connaissance aussi objective que possible des idées spirituelles et religieuses.

 

Le judaïsme raconté à mes filleuls , Marek Halter . Robert Laffont,1999, 178 pages

Le Dr François Rabelais, au XVIème siècle, a appris l'hébreu à la Faculté de Montpellier pour étudier les textes concernant la santé du Talmud ( compilation écrite de la tradition orale juive, établie entre le 2ème et le 5ème siècle après Jésus-Christ ) ( page 103). Probablement aussi pour étudier, au même titre qu'Hippocrate, l'enseignement de Maïmonide, philosophe, enseignant, traducteur d'Aristote et médecin du temps de la splendeur de l'Ecole de Cordoue. L'ouvrage va beaucoup plus loin.

"Une réflexion se travaille comme une matière à la fois molle et réticente. Cela exige un effort permanent, un dialogue avec autrui... Nous bâtissons notre vie pensante avec nos semblables. Que toute réflexion, toute pensée se formulent, s'animent par la pensée et la réflexion de l'autre est une belle nécessité. Cela nous oblige à nous intéresser à la communauté, à nous ouvrir sur le monde, à entendre la voix d'autrui... Dans l'esprit du judaïsme, l'étude des textes et le développement de la pensée sont les indispensables tuteurs de l'homme et le libre enrichissement de son identité " Extrait page 107.

 

Je vois Satan tomber comme l'éclair , René Girard . Grasset 1999 , 297 pages

Une anthropologie, c'est à dire une science de l'homme, est indispensable à tout soignant. Elle est le plus souvent implicite au cours des études médicales, et pratiquement jamais ni critiquée ni approfondie par les médecins. René Girard, ancien professeur à Stanford, est un auteur mondialement connu d'ouvrages démontrant à partir de textes l'importance des mécanismes de rivalité mimétique et de bouc émissaire dans les relations humaines. L'auteur de ces lignes s'est lui-même beaucoup servi de ces notions, pour les appliquer à une lecture autre de la pratique médicale du médecin généraliste (*).

Ce dernier ouvrage est une synthèse de la pensée girardienne. Tout selon Girard a déjà été écrit sur l'homme avec la plus grande précision dans les textes de l'Ancien et du Nouveau Testament. C'est nous qui ne savons pas entendre. La démonstration est claire et des plus enrichissantes. Pour un médecin, c'est fondamental,elle ne suppose absolument pas de sauter le pas aliénant d'une foi quelconque et de ses dogmes, d'une croyance en un quelconque principe supérieur qu'il faut admettre les yeux fermés. Une anthropologie chrétienne est possible et beaucoup plus cohérente qu'aucune autre, affirme-t-il. Voila qui a toutes les chances de donner de l'urticaire aux tenants acharnés de l'athéïsme scientifique que nous avons bu sans le savoir au biberon de nos chères études. Quel régal pour les esprits ouverts et critiques qui veulent se frotter sans bondieuseries au religieux !

Introduction à la philosophie des sciences :

Toute vie est résolution de problèmes , questions autour de la connaissance de la nature

Karl Popper Actes Sud 1997, 166 pages . Popper né en Autriche en 1902, émigré en 1937, a fait toute sa carrière de philosophe dans le monde anglo-saxon où il fait référence pour ses débats avec les plus grands penseurs, épistémologues et logiciens comme homme de "liberté en actes". Cet ouvrage reprend six de ses conférences entre 1958 et 1993, l'année précédant sa mort. Tous les grands thèmes sur la biologie, ses méthodes, ses limites, ses relations avec les sciences dites dures sont présentés de façon vivante et documentée pour un public de non spécialistes.

1°) La doctrine de la science du point de vue évolutionniste et logique 2°) La réduction scientifique et l'incomplétude essentielle de la science 3°) Réflexions d'un réaliste sur le problème corps-âme 5°) La théorie de la connaissance et le problème de la paix 6°) La position gnoséologique de la théorie évolutionnaire de de la connaissance 7°) Kepler : sa métaphysique du système solaire et sa critique empirique

 

L'économie est une science morale , Amartya SEN La découverte 1999 , 124 pages

Originaire de l'Inde, ce philosophe et économiste, spécialiste des questions de développement et enseignant à Harvard, a obtenu le prix Nobel d'économie en 1997. Cet ouvrage reprend le texte de conférences, et est donc très accessible au public non spécialisé. Ses idées force sont la nécessité d'introduire plus de discussions publiques et de débats ( p. 115 ) , dans une véritable " thérapie par le consensus " afin de réduire le chômage et la pauvreté. Pour lui, le débat doit se situer entre le conservatisme financier fort et la responsabilité sociale étendue. D'après SEN, il y a plus de volonté de contrôle de l'inflation que de lutte contre le chômage en Europe. Et il n'oublie pas les terribles famines du Bengale colonisé de 1943 avec ses 3 millions de victimes et celle du " Grand bon en avant " chinois, qui fit entre 20 millions et 40 millions de morts de 1959 à 1961, dans le plus grand silence des médias locaux et occidentaux. Cet ouvrage intéresse particulièrement Exmed, avec sa FMC économique.

 


Métissages culturels

Chamans, mystiques et médecins , enquête psychologique sur les traditions thérapeutiques de l'Inde Sudhir Kakar, Seuil,1997

Un psychanalyste freudien indien, non médecin, a fait un énorme travail sur le terrain de recueil de traditions thérapeutiques fort anciennes, comme les guérisseurs tantriques. Outre l'intérêt de l'approche de ces pratiques traditionnelles de l'Inde par quelqu'un qui en est imprégné et qui peut nous en parler en termes qui nous sont accessibles, il s'agit d'une étude comparative des concepts et de pratiques de "guérison". Le plus surprenant est, quelle que soit la variabilité de l'univers étudié, la constance de la prévalence de la rencontre entre soignant et soigné. En d'autres termes , on va ici au coeur de cette médecine relationnelle si discrète par rapport à sa bavarde soeur technoscientifique. Un voyage pour remettre un peu nos pendules occidentales à l'heure de la réalité humaine.


 

 

 

mise à jour du 12 octobre 2002