Alcoologie
pratique
PROTOCOLE
DE SEVRAGE AMBULATOIRE DU SUJET ALCOOLODEPENDANT.
Docteur
François-Marie Michaut, alcoologue ( MD) (*)
Avertissement
:
Cette
page est destinée à permettre au médecin
traitant, en particulier généraliste, qui le souhaite
de prendre lui-même en charge à domicile le sevrage
( anciennement " la cure" ) de son patient dépendant de
l'alcool, au lieu de recourir systématiquement à
une hospitalisation.
Dans
sa première version, ce protocole est d'abord paru dans
le Généraliste FMC n°1773-1774 du mardi 6 mai 1997 page 24
à 28 sous le titre Alcoolisme: sevrage ambulatoire.
Il a été enrichi selon les recommandations de la
Conférence de consensus Objectifs,
indications et modalités du sevrage du patient alcoolodépendant.
sous le contrôle de l'ANAES ( agence nationale d'accréditation
et d'évaluation en santé ) du 17 mars 1999 ( réf
infra) . Les emprunts au texte des recommandations
seront indiquées dans le texte par ( CC)
Ce
texte est également en conformité avec les recommandations
de la seconde Conférence de Consensus sur les modalités
de l'accompagnement du sujet alcoolodépendant après
un sevrage des 7 et 8 mars 2001 ( alcoologie et addictologie de
juin 2001, Tome 23, N°2 )
Les confrères qui sont amenés
à utiliser ce protocole voudraient-ils donner leur avis
et suggestions à l'auteur,
soit en message
e-mail,
soit sur la page
web du site ? Merci. FMM
Quelques
rappels :
Outre
de 30 000 à 35 000 décès par an, et 15 à
25 % des hospitalisations ( CC) , des signes cliniques , biologiques
ou comportementaux de consommation excessive d'alcool sont retrouvés
chez environ 25% des patients consultant un médecin généraliste
. Dans cette population présentant une consommation jugée
à risque par les experts, un certain nombre de sujets développent
des complications somatiques et psychiques , dites alcoolopathies.
Elles sont bien connues du médecin somaticien : cirrhose,
varices oesophagiennes, pancréatites, polynévrite
des membres inférieurs , encéphalopathies carentielles
, diabète non insulino-dépendant, hypertriglycéridémie,
hypertension artérielle, troubles du rythme supraventriculaires
, myocardiopathie etc ...
Cependant
il reste très rare que le comportement personnel du malade
vis à vis de l'alcool soit abordé au cours d'une
consultation médicale En l'absence de questionnaires de
dépistage validés en France , en dehors du CAGE
( CC) , une enquête rapide, sans commentaire aucun de la
part du praticien, permet d'évoquer l'alcoolodépendance
du sujet .
1)
A partir de quelle heure le sujet prend-t-il son premier
verre ? Chaque jour ?
2)
Présente-t-il des tremblements matinaux calmés
par la prise d'alcool ?
3)
A-t-il besoin de prendre un verre pour calmer son anxiété,
ou accomplir tel ou tel acte de la vie ?
|
- Remarque
1 :
Il n'existe aucune corrélation entre la dépendance
et les signes biologiques classiques ( GGT , VGM ) ou les complications
somatiques . Le diagnostic, essentiellement clinique n'est réalisable
que si le médecin arrive à parler d'alcool avec
son patient, de la même façon qu'il parle de dyspnée
à un cardiaque.
-
Remarque 2 : L'alcoolodépendance se manifeste
par la présence d'un syndrome de manque ( tremblements
, anxiété , au maximum delirium ou crise comitiale
) lors de l'arrêt volontaire ou non de la prise d'alcool.
Sa réalité n'est acquise par le clinicien que lorsque
le sujet ne parvient pas à arrêter de lui-même
sa consommation pendant un temps fixé d'un commun accord.
La physio-pathologie de l'alcoolo-dépendance, telle qu'elle
est actuellement comprise, est sous-tendue par le côté
freinateur de l'éthanol sur le système nerveux (
système Gaba et glutamo ). Pour lutter contre ce ralentissement,
le sujet est obligé de mettre en oeuvre de puissants moyens
de stimulation. C'est leur suractivité en l'absence brutale
d'alcool dans le sang qui serait à l'origine des signes
de sevrage ( delirium tremens, angoisse, insomnies et crises comitiales
).
On
entend par sevrage
On
entend par sevrage
:
l'arrêt de la consommation d'alcool, qu'il soit accidentel,
à l'initiative du sujet ou qu'il s'inscrive dans une perspective
thérapeutique chez l'alcoolodépendant. ( CC)
- Premier temps
du traitement : la longue phase du pré-sevrage :
L'alcoolodépendance
, qui seule nécessite une démarche de sevrage (
CC ), fait longtemps l'objet d'un déni par
le patient. Malgré toutes les apparences , tous les conseils,
il va falloir un temps de maturation considérable , parfois
de plusieurs années, avant que le malade ne reconnaisse
qu'il est dépendant de l'alcool et qu'il ne peut s'en sortir
tout seul . C'est " le déclic" des anciens buveurs. Le
médecin praticien doit retenir qu'un tel déni contre
toute évidence est un signe clinique important de l'alcoolodépendance.
A
ce moment là seulement,quand le patient a enfin pris conscience
qu'il devait être aidé pour lui-même, et non
pour quelqu'un d'autre, que le médecin peut proposer une
démarche de sevrage dans une perspective logique de soins
. Car, malheureusement trop souvent actionné par l'allégation
d'une situation d'urgence , le praticien ne peut que se débarrasser
le plus vite possible , le plus loin possible et le plus longtemps
possible de ce patient qui lasse tout le monde en ne voulant pas
admettre sa maladie alcoolique. La qualité de la relation
médecin-malade , et la clairvoyance dans les jeux systémiques
de la famille et des proches , sont des éléments
fondamentaux pour réussir le si difficile pré-sevrage
.
-Deuxième
temps : élaborer un protocole de sevrage avec son patient
:
La
décision d'hospitalisation pour sevrage , actuellement,
ne devrait dépendre que de l'existence de facteurs socio-environnementaux
défavorables. Il doit être parfaitement clair pour
le médecin comme pour le patient qu'un double sevrage doit
être envisagé pour obtenir un résultat correct
:
Le
sevrage ambulatoire doit être actuellement proposé
dans 70 à 90 % des cas.
Les seules indications du sevrage institutionnel restent : la
dépendance physique sévère, les antécédents
de delirium tremens, ou de crise convulsive généralisée,
problèmes somatiques, psychiatrique ou socio-environnementaux
patents, et polyaddictions, dont alcool et BDZ . ( CC)
-
Une phase de sevrage physique de 7 jours , obligatoirement suivie
par
-
Une phase de sevrage psychologique durant au moins un an.
Le
sevrage physique de J1 à J7 :
Il
peut, après avoir soigneusement choisi le premier jour
avec le patient, se dérouler entièrement à
domicile, sous l'unique autorité du médecin traitant
avec:
-
prescription d'un arrêt de travail de 7 jours
-
visite quotidienne du médecin traitant
-arrêt
brutal et total de toute prise d'alcool dès J1
-
prescription d'hydratation orale minimale de 2 litres , en limitant
la quantité de sucre pour éviter les risques d'hypoglycémie
( modifications paradoxales du métabolisme hydrocarboné
chez l'alcoolique)
-
traitement par une benzodiazépine BDZ , réduit
de 10% à moins de 2% les accidents de sevrage, contrairement
au meprobamate qui ne doit plus être employé ( CC)
.
Traitement
par BDZ, exclusivement destiné à lutter contre l'hyperexcitabilité
cérébrale liée à l'arrêt de
l'alcool ( fortement hypoexcitateur ) , doit donc être strictement
limité à 7 jours en l'absence d'addiction associée
aux BDZ. Molécules utilisées : Diazépam 10
mg toutes les 6 heures, ou 30 mg d'oxazepam, ou 2 mg de lorazepam
ou 15 mg de chlorazépate ( CC) .
J1
et J2 : 2 comprimés 3 fois par jour,
J3,J4
et J5: 1 comprimé le matin et à midi , 2 le soir
;
J6
et J7 : 1 comprimé 3 fois par jour ;
J8
et J9 : 1 comprimé matin et soir.
J10
: 1 comprimé le soir et arrêt impératif. Car
il n'est pas utile de risquer l'induction d'une pharmacodépendance.
L'objectif est la prévention du syndrome de manque, l'anxiolyse
, la lutte contre les tremblements et l'action anti-comitiale
( classique épilepsie du sevrage) .
-
mise en route dès J1 d'un traitement susceptible de
diminuer l'alcoolodépendance , acamprosate: 2 comprimés
matin, midi et soir , à poursuivre régulièrement
pendant 6 mois. Ou naltrexone ( antagoniste des opiacés),
1 comprimé par jour pendant 3 mois.
Nota : la fréquente
prescription de psychotropes chez un sujet qui s'alcoolise
est particulièrement dangereuse ( accidents, collapsus,
troubles mnésiques, ivresse pathologique ) . La prescription
d'acamprosate ou naltrexone à un patient qui, en
même temps ne réalise pas un sevrage d'alcool
est forcément inefficace, donc inutile. Il ne peut
s'agir que d'une aide au maintien de l'abstinence
|
-prescription
d'une vitaminothérapie B1 en IM par un infirmier à
domicile , par exemple thiamine 500 mg pendant 5, 10 ou 15 jours.
Objectif : compenser le déficit en vitamine B1 et utiliser
son effet antalgique, associé à l'effet psychologique
de l'intervention quotidienne à domicile de l'auxiliaire
médical .
-Certains
auteurs utilisent aussi le sulfate de magnésium à
15% , 10 ml, en injection IV rapide ( piqûre chauffante),
associé à un grand verre d'eau, selon le schéma
. J1 : 1 matin et soir ( à domicile), J2 à J7, 1
par jour, puis 1 tous les 2 jours les 10 jours suivants et enfin
2 par semaine pendant un mois. Méthode non validée.
A
l'issue de cette phase totalement sous le contrôle du médecin
traitant, le patient est le plus souvent physiquement sevré
de l'alcool, et en état d'aborder la phase suivante.
-
Le sevrage psychologique :
Le
patient sevré , fragile, continue d'avoir besoin de son
médecin . Un contrôle somatique
tous les 8 jours, puis tous les 15 jours et enfin tous les mois
est nécessaire.
A
ce moment du traitement , le médecin a tout intérêt
à travailler en co-thérapie avec la consultation
spécialisée en alcoologie de son secteur géographique.
L'alcoologue, ou le psychiatre s'il veut bien soigner ce type
de patient, va mettre en place un processus d'accompagnement psychologique
avec des entretiens prolongés, à intervalles réguliers,
d'abord hebdomadaires, puis bimensuels, puis mensuels afin de
comprendre au mieux le fonctionnement du sujet et la signification
du recours à l'alcool. Le sujet doit apprendre à
vivre sans alcool, et, pour que cela dure, mieux qu'avec l'alcool.
Cette
phase, elle aussi longue et difficile, nécessite
des contacts entre médecin traitant et alcoologue
, ne serait-ce qu'à cause de la fréquence des réalcoolisations
( dites à tort rechutes ) qui ne sont jamais la
signature de l'échec d'un traitement ; mais bien le signe
qu'il se passe quelque chose de nouveau pour le sujet. D'autres
évènements comme la survenue d'un état dépressif
peuvent nécessiter une prescription médicamenteuse
adaptée au terrain particulier ( risque iatrogène
+++). Cet état dépressif survient volontiers dans
les deuxièmes et troisièmes semaines de sevrage,
et ne nécessite de traitement que s'il persiste.
-
Résultats et coût du sevrage ambulatoire :
Il
est maintenant admis par la communauté alcoologique internationale
les faits suivants :
-
aucune supériorité du sevrage institutionnel, quel
qu'en soit la forme sur le sevrage ambulatoire n'est démontrée,
les médecins généralistes anglais ( formés)
arrivent aux mêmes résultats thérapeutiques
que les spécialistes ( Wallace, Londres).
-
la qualité du résultat obtenu est directement fonction
de la durée du traitement et non des techniques utilisées
( par exemple psychothérapie de groupe ou individuelle
) qui ne devrait pas être inférieur à 6 mois
ou 1 an.
-
quelles que soient les techniques utilisées et en l'absence
d'évaluations rigoureuses disponibles, il est classique
( Pierre Fouquet ) de parler de la règle des trois tiers
. Avec un recul de six mois , on constate un tiers d'abstinence
totale , un tiers d'échec sans modification de la pathologie,
et d'un tiers d'amélioration des modes de vie et des façons
de boire .
En
ce qui concerne le coût , la technique de sevrage ambulatoire décrite plus
haut revient 7 à 8 fois moins cher qu'un traitement avec
hospitalisation en institution ( François Gonnet
, Lyon ).
Comme
souvent en pratique médicale, un bon agenda et l'utilisation
facile du téléphone est indispensable
La
demande de sevrage pour un patient auprès du médecin
généraliste est peu fréquente. C'est une
situation difficile , même pour les plus exercés
. Pour y répondre correctement , la connaissance des modalités
de traitement est de nature à éviter une réponse
précipitée et inadaptée . Le contact précoce
, notamment téléphonique, avec un alcoologue de
son secteur d'exercice est de nature à constituer une aide
précieuse pour déterminer la meilleure stratégie
thérapeutique pour son malade . Une fois de plus l'agenda
et le téléphone du médecin restent deux remarquables
outils thérapeutiques .
-
Si
un patient impose que l'on sache passer la main , au bon moment
et dans des conditions qui ne disqualifient aucun des thérapeutes
, c'est bien l'alcoolodépendant , redoutable metteur
en échec des praticiens les plus aguerris !
Bibliographie
:
-
Conférence de concensus, Objectifs, indications et modalités
du sevrage du patient alcoolodépendant, 17 mars 1999, Paris.
Texte intégral disponible sur demande écrite à
ANAES, service documentation et diffusion, 159, rue Nationale,
75640 Paris, cédex 13.
-
Kiritze-Topor P. " Conduites d'alcoolisation en médecine
générale ", Conc. Méd.1994 ; 4 : 2-5.
-Huas
D. , Allemand H, Loiseau D , Persione F, Ruef B . 3 Prévalence
des risques et des maladies liées à l'alcool dans
la clientèle adulte des médecins généralistes
". Re. Prat. MG 1993 ; 7 : 39-44.
-
Guignard J.Y. , Kiritze-Topor P " L'alcoologie en pratique quotidienne
" Paris 1991 Laboratoires Meram.
-
Gonnet F, " De l'alcoologue au généraliste " , 1997
( dactylographié ).
-
SFA, Documents préparatoires de la conférence de
consensus du 17 mars 1999, document de travail experts et groupe
bibliographique.
(*) Ancien
administrateur et membre fondateur de la Société Française
d'Alcoologie,
responsable
du Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie de la Rochelle.
Consulter
également "De qui souffrez-vous" en ligne ici
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