Poésie - Jacques Grieu
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CLAPOTIS
LA TEMPETE D’ARCHIMEDE

L’eau sera, dit-on, le pétrole de l’avenir.
Comme, moi, je la vénère, c’est fait pour me réjouir.
Certains individus, ne jurent que par les douches.
Mes bains de sybarite leur font faire la fine bouche.
Enfin, des paresseux, détestent l’humidité.
Pour ma part, la baignoire, c’est la félicité,
Là où tout est beauté, luxe, calme et volupté.
L’extase savonneuse est ma finalité.
Mon vieil ami Etienne a beau me mettre en garde :
Ça fatiguerait le cœur pour peu qu’on s’y attarde.
Mais si on a un cœur, c’est bien fait pour servir !
Le bridge ou les échecs ne peuvent guère l’entretenir,
Ni remplacer le golf ou la physique culture,
Non plus que les coups de foudre, le souffle, les courbatures !
Etienne n’y connaît rien : normal, il est médecin.
Il a donc des excuses, il est même chirurgien.
Mes rêveries trop subtiles , il n’y peut rien entendre ;
Déjà que pour moi-même, j’hésite à me comprendre …
Je barbote, les yeux clos, écoutant Debussy,
Dont les Nuées et la Mer évaporent mes soucis.

A la pendule étanche de ma belle salle de bains,
Il est juste neuf heures cinq. Je rêve d’alexandrins …
Le bain, à Archimède, fut la pomme à Newton,
Le microbe à Pasteur ou la faute à personne.
Est-ce la tenue d’Adam ? Tiédeur ? Ou position ?
Macérer, hausse l’esprit vers de sublimes questions,
Comme celles qui tourmentent l’homme depuis la nuit des temps,
Avant même Aristote, Kierkegaard ou Mitterrand …
Archimède l’avait dit : Tout corps en perdition,
Plongé dans un liquide, obtient satisfaction
.
Je cherche le savon, noyé dans les grands fonds,
Les algues et les dauphins, les crabes , les espadons …
Dans mon dos, ça chatouille : serait-ce une méduse ?
Ou une étoile de mer qui peut-être s’amuse ?
Température ? Ambiante ! Je n’ai nul thermomètre !
Pas plus que d’hygromètre. Ni surtout d’altimètre,
Qui pourrait me fixer sur mes hauteurs de vue.
De même, un marémètre eut été le bienvenu
Pour savoir si la mer n’est pas en plein jusant ;
Se retrouver au sec serait refrigérant …
Me contempler échoué au milieu de l’estran,
Aurait été un drame aux effets térébrants.
Quant à mon manomètre, son manque est un supplice :
Comment , des profondeurs, mesurer les abysses ?

Sur le cadran tout rond : déjà neuf heures vingt six !
Des longueurs de baignoire j’ai bien dû en faire dix.
Je hais cette pendule avec son cadran noir,
Dont les sales aiguilles rouges sont, vicieuses, vexatoires.
Hygromètrie ? Je lâche … quatre vingt trois pour cent !
Il faut bien se … mouiller même si c’est agaçant.
Combien de purs génies, aux bains doivent leurs trésors !
Archimède : c’est connu : tout liquide, dans un corps,
Plongé de haut en bas
… Son Grand Principe est là !
Quand on pense que sans bain, c’était l’anonymat …
Petit rajout d’eau chaude, soigneusement instillé.
Pour l’idéale tiédeur, parfaitement installer .
Le confort optimum est affaire de technique,
Et ne peut s’acquérir qu’avec une longue pratique.
Je suis sûr qu’Archimède maîtrisait bien les doses,
Même si ses robinets, maniés en virtuoses,
Se réglaient par esclaves déversant leurs potions,
Et criant « eureka ! » , lors de ses inventions.
Moi, moderne Rousseau, je médite et m’affaire
Sur les géniales Rêveries du Baigneur Solitaire.

Neuf heures cinquante minutes à cette affreuse toquante
Qui malgré les embruns, reste étanche, même ruisselante.
Le temps va se gâter. Sans aucun baromètre,
Ce léger zéphyr d’ouest, me fait vous le promettre.
Le bain, quelle volupté ! Quelle détente idéale !
Car y philosopher est ma drogue vitale.
Et si c’était aussi, au fond de sa baignoire,
Que notre grand Einstein, de cet observatoire,
Relativisait tant qu’il en fit « mc2 » ,
Tout en faisant la planche dans le clapot moelleux ?
Einstein, grand séducteur, cela dit en passant ;
Enjôlait toutes ces dames , sa formule brandissant …
Ma serviette suspendue semble flotter un peu :
La tramontane se lève ; mais rien de très nuageux.
Sans craindre aucun requin, je peux me rendormir,
En rêvant de Platon dont les pensées m’inspirent.

Dix heures et douze minutes : pourquoi comme une offrande,
Tient-elle à donner l’heure que nul ne lui demande,
Cette montre (toujours étanche) qui trouble ma quiétude ?
Pour me rappeler du monde toutes les vicissitudes ?
Hygromètrie probable ? Il faut que je me lance :
J’opte pour cent pour cent, avec munificence.
Température de l’eau : j’hésite. Et me sent apeuré.
Car soudain, le vent monte. Seraient-ce des grandes marées ?
Je vais rentrer au port, aisément, vent en poupe.
Plus faraud qu’hier soir où j’avais vin en soute.
Mais que vois-je à tribord, à trois heures sous le vent ?
Serait-ce un gros iceberg, une épave, un chaland ?
Ce n’est que la digue nord, et le port et le quai !
Ouf ! J’aurais pu avoir peur ! Mais ne fut guère qu’inquiet

Il est onze heures moins vingt. Hygromètrie ? Cent dix !
Le vent va forcissant : vingt cinq nœuds …Ou vingt six.
Le baromètre baisse, lâche ses hecto-pascals,
Je vais perdre mes serviettes au plus fort des rafales …
Et ce savon obtus qui, perdu corps et biens,
Refuse tout renflouement et joue les sous-marins !
Mon instinct de marin, une dépression m’annonce …
D’ailleurs, la marée monte en guise de semonce.
Ça va gîter très fort, restez bien vigilants ;
Mais je tiens bon la barre, et réciproquement.
Va falloir prendre un ris, comme disait Gallieni
Aux taxis de la Marne légèrement ébaubis
Comment, aux temps jadis, faisait-on sans baignoires ?
Etait-ce trop indécent ou superfétatoire ?
Le bain, chez nos ancêtres, n’était que pour palaces ;
La baignoire de Louis XV était une à trois places …
Le Jacob-Delafon étant fort peu fréquent,
Chacun, dans son baquet trempait trois fois par an.

Onze heures treize ! Porte-bonheur ??? Cette question, primordiale,
Mérite d’être posée en cet instant crucial !
Et même débattue ! Sans doute pas la réponse,
Car personne n’est capable d’en amorcer une once.
Hygrométrie : cent douze ! A cent treize, tout explose ;
La température baisse : au rhume, je m’expose.
Tout le monde se défile dès que la mer se forme.
Même dans la marine, on ne trouve plus un homme !
A force 9 Beaufort, c’est là qu’on voit les durs,
Mais quand on frôle les 11, il ne reste que les purs.

Il est midi moins dix ! Et je me liquéfie.
Je fonds, je suis fondu, je sors, je suis sorti.
La prudence l’exige ; c’est comme si c’était fait.
Mais l’effort, surhumain, me laisse insatisfait.

Midi pile. Suis transi. Ne voit nul ours blanc.
La banquise est tranquille : quelques phoques innocents …
Je m’essuie, réfléchis et puis sans préambule,
Balance vers les grands fonds cette affreuse pendule.

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Jacques Grieu