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AUSTRALIE

"Purnunulu et Kununnura"

Jacques Blais

 
     
 

L'Australie est un gigantesque endroit, un privilège, et au moins trois voyages sont nécessaires pour en goûter différentes parties, en saisir l'ambiance, en parcourir les landes et les roches, humer les eucalyptus, regarder sauter les kangourous, et vivre le pays.

Australie

 
 

Ces trois étapes seront ici réunies, en rassemblant des souvenirs et des images espacés sur environ 18 ans, en trois occasions dans trois secteurs différents. C'est précisément, à mes yeux, un avantage que de laisser filer les années et conserver ainsi une sorte de reflet synthétique.

 
 

Si des voyageurs cherchent là-bas des traces du passé, parce que c'est une manière souvent Européenne, celle des privilégiés de l'Histoire, les hommes ont apporté sur place celles de leur propre histoire sans majuscule. Mais les traces visibles, si elles sont comme on a coutume de dire " monumentales ", le sont à l'échelle des accidents si anciens, mesurés en siècles et en millénaires, des reliefs, des météorites, des failles et des tassements, non à l'échelle des pierres et des murs, des bâtiments et des constructions.
 Avant de parler d'impressionnisme, ce qui représentera un peu la méthode, évoquons à l'occasion de la découverte de ce pays énorme les comportements des hommes, des nations, des idées ou des religions qui ont conduit au fil des civilisations tant de bouleversements dans les conquêtes du monde.
 
 
Comportements des êtres
 
Il serait possible de distinguer, grossièrement et arbitrairement, deux types de comportements : celui d'annexion et de reproduction, et par ailleurs celui de suppression et destruction.
 
On trouve ainsi, dans l'histoire des peuples, des découvreurs, colonisateurs, envahisseurs, ces civilisations qui, s'attaquant d'abord avec enthousiasme et folie aux lieux, ont plus tard utilisé, ou bousculé, ou embastillé les personnes, en devenant des colons, en pratiquant l'esclavage, ou bien dans nombre de territoires les plus éloignés possibles des bases, en envoyant des bagnards pour à la fois travailler et se reproduire sur place.
 
L'Europe, avec la France, le Portugal, la Hollande, le Royaume Uni, etc, a beaucoup contribué à cette méthode, lors de toutes ses étapes. Grandes découvertes maritimes, colonisations, croissance des empires, esclavage, envoi en relégation, dans les bagnes. Nombre de lieux évoqués dans ces séries sont nés de ces principes, Cap Vert, Guyane, Australie, Nouvelle Calédonie, Nouvelle Zélande, etc.
 
Et toujours dans cette histoire des peuples, un autre grand groupe concerne les prédateurs, destructeurs, guerriers, ceux qui au nom de religions, d'ethnies, du pouvoir, des races, se sont attaqués aux personnes d'abord mais souvent aux lieux en même temps, surtout dans les guerres modernes, procédant à des génocides, des massacres, des exterminations. De nouveau bien des participations européennes dans ce lot, mais aussi des évocations africaines, ou au Moyen-Orient, en Arménie, dans de si nombreux lieux. Parce que la géographie est en réalité tout sauf des quintaux de blé, des tonnes de minerai, des populations à mille habitants près, des surfaces et des frontières, la géographie est le monde des humains, le royaume des habitants, le lieu où l'on vit, où l'on meurt, où l'on souffre, où l'on s'émerveille. Si les habitants vivent, se comportent, évoluent ainsi dans tel endroit, c'est parce que le sol, la sécheresse ou l'humidité, le climat, les fleuves, la végétation, les cultures, les ressources, l'économie les conduisent à procéder ainsi. Quoi de plus évident, de plus " bête " comme on pourrait dire, mais si un seul, ou une seule, de mes professeurs avait su me parler des êtres au lieu des quintaux, des humains au lieu des frontières, des ethnies au lieu de mes notes catastrophiques, de la vie et de la mort au lieu des minerais et des altitudes à connaître au millimètre près, j'aurais aimé la géographie.
 
Naturellement ces évènements terribles, graves, anciens ou récents, énormes en ampleur ou même en amplitude, pourrait-on dire, influent considérablement sur le devenir de ces pays visités plus tard. Les générations suivantes, les descendants des peuples locaux vivent ensuite avec ces faits, cicatrisent ou non, souffrent souvent, et si certains aboutissent à un apaisement, d'autres persistent à se sentir bousculés et bourrelés de remords. Les générations au fil du temps reconstruisent, replâtrent et rattrapent. Elles travaillent ainsi sur les symboles, avec des monuments, des stèles, sur la mémoire, avec des célébrations, des commémorations, sur la restauration, à l'aide de droits, de décrets de reconnaissance, d'allocations, enfin sur la reconstruction pour l'avenir, avec des aides, des projets, des budgets.

 
   
 


Ce grand chapitre, une fois écrit pour tout un ensemble d'autres situations, s'applique bien sûr à l'Australie par rapport au comportement de cet Etat vis à vis des Aborigènes. Populations d'origine, mais si progressivement reniées, abandonnées, laissées à leur déchéance et leur auto-destruction par une inadaptation absolue au monde moderne, n'en gardant que les nuisances, alcool, maladies transmissibles, y introduisant leurs réalités ethniques de traditions et de réduction en nombre, comme la consanguinité et ses ravages, les aborigènes sont limités à un nombre dérisoire de personnes marginalisées. Leur reconnaissance officielle comme citoyens australiens est effroyablement récente (citoyenneté en 1967, droits en 1972), leur réhabilitation est du type folklorique de sauvetage des espèces et des rituels historiques, et il est inévitable d'admettre qu'on les a laissés disparaître sans les défendre. Malgré un sursaut notable et important des dernières années, s'apparentant à une assistance à espèce en danger.
 
Les Australiens semblent avoir éprouvé le besoin de se " rattraper " sur le plan de la conscience, en se montrant les plus gros récepteurs de " boat-people " jusqu'au moment où leur démographie risquait d'en souffrir, les asiatiques s'adaptant de surcroît très vite sur ce territoire. Et, à la décharge de l'ensemble du peuple australien, il est équitable de considérer que si les Aborigènes ont constitué l'origine locale des populations de cet hémisphère, les innombrables descendants de bagnards et relégués britanniques, gallois, irlandais, n'avaient à peu près aucune raison de les considérer comme leurs ancêtres à eux.
 
On sent les générations contemporaines simplement soucieuses de préserver en somme autant les civilisations des origines dans leurs diversités et leurs cultures, que l'environnement dans ses caractéristiques. Les populations aborigènes ont incontestablement un très grand besoin d'aide, sanitaire d'abord, de récupération de leur fierté, de leur nature, de leurs aspirations. Comparaison qui pourrait paraître discutable, nos contrées d'Europe se trouvent face à des difficultés similaires avec les peuples Rom, ces migrants d'Europe Centrale, que l'on les nomme globalement et à tort Tziganes ou autres. Ce sont des migrants déstabilisés dans leurs propres pays, inadaptés à l'évolution du monde, ayant perdu repères et vraies traditions, éprouvant un sentiment de rejet et d'abandon. A évoquer ces rassemblements de Roms dans des caravanes délabrées, sous les ponts d'autoroutes, dépourvus d'eau, sans possibilité d'évacuer leurs déchets, non scolarisés, il est inexorable de penser aux populations identiques des Aborigènes. Autoroutes mises à part, car ce n'est rigoureusement pas le style de leurs régions, ils errent aussi de campements perdus en centres provisoires-définitifs de regroupement, se présentant aux petites lueurs de l'aube, en file aborigène vers les toilettes publiques de camps de caravanings des riches, pour utiliser les lavabos et lieux d'aisance. Ils stationnent le reste du temps aux abords des villages ou villes, si peu attractifs dans leur aspect délabré, voire réellement, c'est cruel et terrible de le dire mais hélas si vrai, dans leur physionomie presque dégénérée, que le spectacle est celui de la douleur et du refus, et le réflexe des nantis est le même absolument partout : la fuite, le regard qui se détourne. Ce qui signifie la réalité, comme partout : le problème se situe à un niveau qui ne saurait être, loin de là, seulement citoyen, mais qui est social, politique, gouvernemental. Même avec un regard et un sourire, le citoyen ne guérira ni l'âme, ni le passé, ni les déchirures, plaies, et reniements de l'histoire, et heurté lui-même dans sa compassion coupable, il s'écarte et soupire!
 
 
Impressionnisme
 
C'est avec cet état d'esprit que nous aborderons la découverte de ce continent du bout du monde. Non comme une sorte de " survol en trois leçons " , la vie en trois chapitres, le monde en 9 pages. Mais avec l'esprit d'une impression d'ensemble, grâce au recul de l'espace et du temps, qui permet de conserver précieusement de trois voyages dans l'hémisphère austral des restes fabuleux, quand on a oublié les détails de la route, certainement des noms aussi, mais que l'on a gardé intacts les sentiments, les émotions, le plaisir, les couleurs, les sensations, les surprises, les chocs.
 
Une première " impression " plutôt dans la figuration de ce qui imprime la rétine avant la mémoire ou plus encore le sentiment, va consister à décrire quatre panneaux routiers communs à l'Australie, une approche amusante qui donne une première teinture du pays.
 
Une première image est celle qui annonce Route inondable. Elle contient en elle-même un paradoxe, car ce continent est à la fois extraordinairement sec pendant de grandes périodes, et lorsque les pluies surviennent, l'eau envahit, recouvre, submerge les routes, en saison, au point d'empêcher les véhicules d'avancer. Et il existe alors de drôles de poteaux de repérage, en bordure de route ou de piste, gradués en décimètres, qui mesurent la hauteur du flot pour permettre aux véhicules d'évaluer leur capacité de passage ou non.
Naturellement, durant une longue période de l'année, ces instruments n'ont pas d'usage!
 
Une deuxième illustration est celle qui dit Beware of roads trains, prenez garde aux trains de la route. Ce véhicule est LA spécialité australienne, un assemblage de remorques en nombre variable, accrochées derrière un colossal camion tracteur. Réellement un train, lorsque, comme sur une photographie prise dans le nord ouest, j'avais pu dénombrer 21 essieux de 4 roues chacun, sur 6 remorques plus le train arrière du camion lui-même, soit avec les roues directrices de la cabine un total de 86 probabilités pour le chauffeur de crevaison d'un pneu ! ! Il est utile d'ajouter que ces immenses engins roulent très vite, sont résolument incapables de s'arrêter une fois lancés, ont une très modeste capacité de virage dans les courbes. Heureusement, ils sont adaptés aux routes australiennes, 8 kms de ligne droite, puis une courbe de 6 degrés, puis 15 kms de ligne droite, une courbe de 7 degrés, 12 kms et ainsi de suite. Mais il reste les pistes, de rouge vêtues, un remake du salaire de la peur où votre camping-car doit atteindre une vitesse minimale pour ne plus entendre la vaisselle de vos placards tomber par les portes traumatisées, derrière vous dans l'habitacle, tout en avalant un maximum de poussière, en tentant de conserver l'axe de vos roues, de ne pas déraper. S'il vous arrive de croiser un road-train, la sensation est d'enfer ! 70 mètres de cuirassé métallique brinqueballant à affronter en serrant les dents, les poings, orteils crispés dans les baskets, et en maintenant les yeux ouverts! Quant à doubler un tel engin, cet exploit ne relève que de la mansuétude du chauffeur adverse, qui acceptera de lever le pied, de s'arrêter, ou de vous laisser faire lors d'un arrêt-pipi.

 
 
un "train de la route"
 
 

Le panneau suivant est celui des avis animaliers. Attention, troupeaux, qui peut être remplacé par Kangourous, voire dans certaines régions, à proximité d'un cours d'eau d'allure anodine :
Ne pas se baigner : crocodiles. En réalité ces animaux sont rencontrés de manière épisodique et lointaine, une autruche ou un émeu goûtant à une folâtrie vagabonde en bordure de piste, quelques troupes de kangourous luttant de vitesse avec vous, des bovidés égarés.
 
Le dernier avertissement de voirie est très régulièrement rencontré : GRID vous annonce un panneau triangulaire. Ce qui signifie que vos roues vont croiser une limite de propriété agricole, matérialisée par une zone de grille métallique occupant la voie roulante, qui a pour objet d'empêcher le bétail de franchir cet obstacle inconfortable, barreaux mobiles laissant les sabots en porte-à-faux avec un large espace. Vos roues à vous vibrent là-dessus au passage de manière caractéristique. Les propriétés étant très vastes, il s'écoule des minutes et des kilomètres entre les marquages.
 
De très loin, en Australie, le motor-home est le moyen le plus aisé d'assurer son autonomie, de parcourir des distances complètement désertes avec son toit sur le dos, de pallier la carence de structures touristiques dans certaines zones. On le verra, ceci dépend des régions, et entraîne aussi des précautions et stratégies sur le plan logistique, pour éviter de se trouver pris au dépourvu en vivres, carburant, eau, et argent liquide. Même un pays si gigantesque, si moderne, si accueillant, montre ses limites dans certains domaines.




Nous allons fractionner le continent en trois grandes parties. L'Est riche, copiant le monde américain, la partie qui attire la clientèle des loisirs de mer. Avec toutefois une superposition avec des traditions ramenant aux racines. Le Centre rouge, comme on l'appelle, la région des pionniers, de l'aventure en couleurs, de la piste. Avec cependant là aussi un sud administratif, très british, ancien, de villes un peu moroses. Et l'Ouest encore très peu connu, fragmenté en deux régions : une méridionale très classe, britannique, humide, eucalyptus, bord de mer, villas, chic et bon ton de Perth, et puis les mines de l'intérieur ramenant les cow-boys, et septentrionale à partir de Broome, une cité balnéaire, et ensuite le désert aride de roches où bien peu s'aventurent, et c'est si dommage.

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