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COOK

" AÏTUTAKI , une île pour rêver… "
   
 

Dans ce genre d'endroit, le mode de déplacement se décide entre un scooter ou un vélo de location, la plupart du temps, ceci de nouveau étant valable pour nombre d'autres îles. Ce qui autorise une distance en rapport avec le lieu, une fraîcheur ventée agréable, une vision aisée sur l'environnement. Le plaisir.
     Une part de ce plaisir réside dans l'absence de programme. Point de visite frénétique des ruines du temple, de la cité antique, du marché coloré, du palais du gouverneur, de la cathédrale pompeuse au décor baroque, ou des sculptures chantournées d'un Arc solennel. Ces endroits ont à vous proposer la vie, les êtres, le décor fabuleux, leurs couleurs naturelles, leur mode de vie, leur environnement, les coutumes, l'écoute et le dialogue, la découverte d'une manière de concevoir l'existence.
     Avec un bonheur du regard inconcevable. Lorsque vous finissez d'escalader les quelques centaines de mètres du relief du reliquat de cône volcanique central, vous embrassez l'horizon sur 360 degrés de merveille. Des nuances permanentes de teintes entre verts et bleus, couvrant toute la palette, avec un entrelacs de végétation offrant elle aussi des jaunes, des pourpres, des verts feuillus, des bulbes, des baies, des fruits multicolores. J'avoue atteindre carrément l'émotion, à m'asseoir au sommet de tant d'îles du monde, pour simplement contempler, regarder, observer, admirer, laisser venir la totalité des coloris, qui de surcroît changent et modifient leur intensité et leurs mélanges selon l'heure du jour, l'inclinaison du soleil, la profondeur locale de l'eau, les reflets.
     Cette étendue en arc limité d'un lagon, qui débute une matinée dans un ton turquoise, et qui va avec le midi se séparer en bandes, une presque violette là-bas près de la bordure du corail au loin, une verte d'émeraude ou d'Irlande plus proche, pour atteindre le tilleul, le céladon, l'amande ou la pistache près de la plage, et se muer en un cristal limpide et complètement transparent avant de rejoindre la farine du sable.
Des heures de bonheur dans le coulis d'un vent tiède, à regarder, penser, réfléchir, imaginer, ou écrire, échanger des impressions, flâner, tenir une main tendre, ou comparer le regard d'yeux aimés avec les nuances du lagon.

 

Au long de la route, bien souvent plutôt une piste de terre, circulaire qui suit le tour de l'île, des villages simples et pauvres, où les enfants vous saluent avec amusement. Des endroits plus cultivés, de nécessités alimentaires, tubercules, céréales, fruits, et puis quelques cochons qui se disputent des épis, des poules qui s'échappent. Une vie certainement difficile, mais une existence à l'abri et indemne de trop de questions.
Les familles s'organisent aussi quelque peu en territoire localisé, en particulier la coutume est habituellement d'enterrer ses morts dans le jardin, à dix mètres de la maison. On traverse la cour, un potager, et sous l'abri de quelques arbres fruitiers, entre le poulailler et la réserve de bois, on trouve tout à coup la tombe du grand-père, plus loin deux autres, et finalement l'existence ne sépare pas les générations, même au delà du temps.

D'inévitables interrogations d'occidental viennent : l'avenir, l'enseignement et la scolarisation, la migration supposée, ou prévisible, des plus jeunes vers d'autres îles plus équipées, un peu industrialisées ne serait-ce que dans les cultures, ou la pêche, ou un artisanat ouvrant vers des perspectives d'évolution monétaire. Et puis ces populations qui demeureront sur leur terre, leur bout d'île, n'ayant jamais connu d'autres cieux, d'autre rythme, d'autres ambitions, que d'avancer d'un jour sur l'autre, à ramasser de quoi se nourrir, à bavarder les uns avec les autres, à se rassembler pour les enterrements, les fêtes ethniques et folkloriques ou religieuses, à rentrer la pêche, à partager un repas de mariage. Et ainsi la vie s'écoule, avec pour certains, peu nombreux, l'accession à un savoir différent, à ces écrans artificiels des téléviseurs quand une installation ou un moteur produisent l'énergie pour décrypter ces images de la planète, pousseront alors vers une envie ou un besoin de voir ailleurs ce qui s'y déroule.

 

     Dans toutes les petites îles du monde, la conception de l'existence semble différente, comme si l'échelle du territoire, la séparation, l'éloignement des autres, l'accessibilité difficile, l'habitude de l'autarcie et des échanges réduits aux autochtones, rendaient la façon de penser différente. Réduite à soi, très peu demandeuse, aisément satisfaite, et peu encline à des comparaisons envieuses ou défavorables. Les anciens ont vécu ainsi, et il va de soi que les générations poursuivront des ambitions égales, identiques. Par rapport à nombre des îles du Pacifique exploitées commercialement, ici pas ou guère de sollicitation pressante pour vendre, forcer votre quiétude, proposer des attractions et des objets.
     Pour certains cette réserve, devenue protection à mes yeux, semblera pesante ou sera ressentie comme un manque, et c'est pourquoi l'intitulé évoque une île « pour le rêve » englobant alors non seulement celui général des cartes postales et de l'idée que chacun s'établit d'un lagon enchanteur, entre la mer, le soleil, et les couleurs, mais aussi le rêve que chacun construit dans le recueillement de sa tête libérée des sollicitations extérieures usuelles, depuis celles du temps jusqu'à celles du commerce, en passant par le rythme, la rentabilité, les objectifs financiers…

 
 

       Il reste le sable, la mer, les plages, et une eau délicieuse à 30° vous plaçant la peau en extase. Des emplacements déserts, un petit enclos de farine si finement pulvérulente, avec pour l'atteindre un cheminement de plantes tropicales et d'arbres touffus, une mangrove proche pour ombrer et apporter les odeurs et les chants d'oiseaux. Et les bordures de filaos sur le sable, pour donner définitivement le sentiment d'un bonheur tropical et pacifique, de l'exotisme indispensable.
       Regarder décliner le soleil, qui va apporter à l'eau d'abord ce calme absolu que quelques vaguelettes viendront sonoriser d'un clapot doux, des teintes partagées entre violine et mauve, puis avec la nuit aubergine et marine, le reflet longtemps préservé d'une pirogue à balancier effleurant la surface, le scintillement à contre-jour d'un éclat de poisson en train de s'ébattre. Et la silhouette entrevue d'une baigneuse de couleur locale, qui en relevant ses cheveux dans un lien prendra une allure d'amphore à deux anses. A la fin du spectacle, et comme à l'habitude, la pastille orange du soleil disparaît en amenant des vapeurs irisées de surface. Et souvent l'astre bisse avec une courte prolongation quand, englouti, il laisse encore des réflexions indirectes peindre les trois nuages effilés qui se sont opportunément installés pour être maquillés d'un pinceau rosé. Tandis que les derniers rayons peignent de pastel le coton filandreux, les branches basses des filaos peignent de leurs dents rectilignes les cheveux d'anges des secrétions d'insectes non identifiés.
       Et le banlieusard blanc, tassé sur une bûche de palétuvier, pétri de sensations émues et empli de sentiments de reconnaissance, songe une fois encore que notre monde possède des ressources inestimables, générant tous les bonheurs quand les circonstances le veulent.

Jacques Blais 

 
 
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