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 N° 440
 
 
 
     20 mars 2006
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Délinquance, rééducation et psychothérapie au berceau

Nicole Bétrencourt Lui écrire


Peut-on lutter contre la délinquance par la médicalisation du très jeune enfant ? Certains acteurs du champ de la santé n'en sont pas convaincus.  Les professionnels de l'enfance des  PMI ( protection maternelle et infantile), de la médecine scolaire, de la pédopsychiatrie, de la pédiatrie et de la  psychologie font circuler, depuis plusieurs semaines,  la pétition « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » qui a déjà recueilli plus de 61 000 signatures. En réponse au rapport de l'INSERM(1) sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent, assorti d’un programme de prévention.

retrouver la confiance

Dans la pétition,  certains points du rapport de l'INSERM susceptibles d'annoncer un parcours vers la délinquance, ont été mis en exergue.  Les professionnels de la petite enfance  sont invités à repérer des facteurs prénataux et périnataux ( pré-berceau  et berceau ), génétiques, environnementaux liés au tempérament et à la personnalité . Chez ces jeunes enfants, déceler le plus vite possible la froideur affective, les manipulateurs précoces, le cynisme. Dépister dès 36 mois (traduire 3 ans),  l'indocilité, l'hétéroagressivité, le faible contrôle émotionnel, l'indice de moralité bas.   « Faudra-t-il dénicher à la crèche les voleurs de cube ou les babilleurs mythomanes?» est l’interrogation de ces professionnels de l’enfance. La moindre bêtise de l'enfant risque d'être interprétée comme l'expression d'une personnalité pathologique évoluant vers un comportement antisocial. Dans le rapport de l'INSERM,  des solutions associant rééducation et psychothérapie sont proposées pour venir à bout des têtes fortes. Et après ce délai de grâce de la prime enfance,  à partir de 6 ans, pourquoi ne pas recourir aux médicaments, psychostimulants, thymorégulateurs? 
L’objectif des signataires de la pétition «pas de zéro de conduite»  est d’être entendu des pouvoirs publics car ils craignent un amalgame entre le repérage des facteurs de risques mis en relief dans l’expertise collective de l’INSERM et la répression réclamée par le Syndicat des commissaires de police depuis quelques années. Ils ne sont pas les seuls. A l'INSERM même, on s'inquiète d'un éventuel détournement de ce rapport car les ministères de l'intérieur et de la santé s'appuient sur cette expertise collective.
Déjà, en  décembre 2003, dans un avant-projet de loi de la prévention de la délinquance, il était écrit que « Plus tôt les enfants sont pris en charge, moins ils auront à l'adolescence des attitudes autodestructrices ou agressives pouvant amener à la délinquance.» La crise des banlieues qui marqua la fin de l’automne 2005 n’avait pas encore éclaté. 

restaurer la conscience

D'autres reproches fusent sur le rapport de l'INSERM comme celui d’être trop médical, pas assez pluridisciplinaire et d’avoir fait l’impasse sur le côté multi-factoriel du trouble mental.  L'un des experts du rapport, le sociologue Laurent Mucchielli qui a longtemps étudié les conditions économiques et sociales qui favorisent l'émergence du trouble des conduites, a constaté que ses remarques n'avaient pas été écoutées.
Depuis sa sortie, la polémique fait rage dans la presse. La revue l'École des parents s'inquiète d'une éventuelle connotation médicale ou policière de cette expertise collective. Des parents craignent que l'on en vienne à leur enlever la garde de leurs enfants s'ils refusent de les psychiatriser, de les droguer comme aux États Unis en toute légalité avec de  la Ritaline. 
Si l’expertise collective de l’INSERM sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent a ses détracteurs, elle a aussi ses partisans. En commençant par Jeanne Étienne, la biologiste qui a dirigé le comité d'experts de l'INSERM, qui s'étonne des réactions parues dans la presse et de la polémique engendrée par la publication du rapport. D'autres pédopsychiatres lui emboîtent le pas et sont favorables à une détection précoce du trouble des conduites. Tous les jours, ils sont confrontés  à des enfants qui sont en opposition perpétuelle, qui tapent, qui mordent qui ont des difficultés d'apprentissage, « qui ont la tête explosée » parce qu'ils regardent la télévision dès le réveil, qui renversent leur bureau en cinq minutes, qui font preuve d'incivilité et insultent leurs professeurs. Pour Michel Dubec,  on en serait  à la troisième génération du trouble des comportements dans certaines familles-femmes et enfants battus, en Seine-Saint-Denis. 
Certains résultats de l’expertise de l’INSERM ne sont pas à prendre à la légère. Ainsi, les  personnalités antisociales ont des antécédents de trouble des conduites.  Et le risque d'évoluer pour l'enfant  atteint d'un trouble des conduites vers un trouble de la personnalité antisociale est statiquement de 50 %. Le trouble des conduites est souvent associé lui même à d'autres troubles mentaux comme le TDHA ( trouble du déficit de l'attention et de l'hyperactivité), le TOP (trouble oppositionnel avec provocation), les dépressions déclinées sous diverses formes, les stress post-traumatiques.   Sans omettre l'inévitable facteur de risque de conduites de toxicomanie: cannabis, psychoactifs, alcool et tabagisme, etc. Les conduites à risque et l'âge de la mère justifieraient la surveillance médicale des relations synergiques entre l’enfant et la mère. 
Pourquoi le rapport de l’INSERM suscite-t-il tant de remous et d'inquiétudes?
Son but est de situer « le trouble des conduites au sein du phénomène social qu'est la délinquance. Ce dernier est un concept légal dont les limites dépendent en grande partie des changements des pratiques policières ou judiciaires. »  Il étudie le comportement antisocial qui caractérise les troubles des conduites et qui peut signifier acte de délinquance. Un adolescent qui brûle des voitures et saccage des écoles n'est pas nécessairement atteint d'un trouble des conduites. Jeux de mots ou sémantique qui dédouane ce rapport idéologiquement?  Mais où est la frontière entre la délinquance et le trouble des conduites? 
Dans cette expertise,  tous les champs de la vie de l'enfant et de son entourage familial et social sont passés au crible. La synthèse a été réalisée à force de résultats des nombreuses enquêtes, à  dominante psycho-biologique, l’inclusion d'études comportementalistes avec des animaux de laboratoire qui auraient la faveur d’Ivan Pavlov (1849-1936), l'ami des chiens et de Burrus.F Skinner (1904-1990), l'inventeur du behaviorisme radical et l'ami des pigeons. 

renforcer la compétence

Selon certains commentateurs, les acteurs de la santé  auraient du mal à se faire à l'étiquetage des symptômes qu'on pratique couramment chez les anglo-saxons sous le nom de  DSM IV (2) et utilisé dans le rapport de l'INSERM. Et l'on sait que la France est très attachée à la  psychanalyse. Pour beaucoup de professionnels, le trouble se soigne aussi avec du social, ce qui est contraire à l'esprit du rapport qui favorise  "le tempérament et la personnalité".  Force de constater que le rapport de l'INSERM  a délaissé l’étude des facteurs environnementaux dans la compréhension du trouble des  conduites et des comportements délinquants (sic) et innove par celui de « l'étude de la personnalité et du tempérament»,  en vigueur dans les pays anglo-saxons.
Les programmes de prévention du trouble des conduites, ceux qui auraient faits leurs preuves au niveau international, portent tous des noms anglo-saxons.  Les programmes "Elmira Visitation" pour les enfants de 0 à 2 ans, et le "Perry Preschool Study /Preschool Curriculum Comparison Study" pour les autres de 3-4 ans, sont-ils adaptables aux mentalités françaises et applicables sur le terrain ?  Même si la France pèche par une absence de littérature scientifique relative à la prévention du trouble des conduites ou de la violence, cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas d'idées et qu'elle se révèle incapable d'élaborer démocratiquement ses solutions.
Mais pourquoi parler de dépistage des troubles de la conduite quand il faut neuf mois pour obtenir un rendez-vous dans un CMP (centre médico-psychologique), douze pour une consultation sur l’hyperactivité à l’hôpital Debré ? Le risque zéro de créer un ghetto psychiatrique pour certains enfants et adolescents  est-il vraiment écarté? 
Sources:
INSERM: expertise collective Trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent:
      http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble_conduites/trouble_conduites_synthese.pdf
Pétition « Pas de zéro de conduite»:
http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org/
  Le Nouvel Observateur n°2138, semaine du jeudi 27 octobre 2005.
 Les enfants terribles, Anne Fohr, Gérard Petitjean:
http://www.nouvelobs.com/articles/p2138/a284514.html
Le quotidien du médecin, 26 février 2006, Une pétition des professionnels de
 l?enfance, Non à la traque du trouble des conduites à de fins d?ordre public, Philippe
Roy:
http://www.quotimed.com/journal/index.cfm?fuseaction=viewarticle&Dartidx=363859&dnews=169599&Newsid=20060222
(1) INSERM : l’ institut national de la santé et de la recherche médicale est en France l’organisme d’Etat qui a le monopole de la recherche publique. NDLR
(2) DSMIV : 4ème édition d’un système américain de recueil de symptômes psychiatriques fondé sur la seule description, et à but essentiellement statistico scientifique et non diagnostique comme on le croit trop souvent. NDLR

NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver, ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plaît, vous déplaît ou vous semble mériter telle ou telle réponse, d'un simple clic sur le lien "Lui écrire" en haut de page, un courrier électronique de votre part parviendra à l'auteur.
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Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

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Léo Campion


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