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 N° 452
 
 
 
     12 juin 2006
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Drôle de monde

Docteur Françoise Dencuff Lui écrire

Où il sera question de sexe, d’Aldous Huxley (1), des jeunes et d’étranges courants de fonds, finalement bien paradoxaux .

retrouver la confiance

Étrangement, à quelques jours d’intervalle, des penseurs se sont penchés sur la sexualité des Homo Sapiens.
La première, uniquement par antériorité, professeur de philosophie à Québec, nous parle de l’hypersexualisation de nos sociétés. Elaine Larochelle a répondu au défi lancé par un journal québécois, Le Devoir : décrypter un fait d’actualité à la lueur des thèses d’un grand penseur. Après publication ce sont les élèves qui évalueront la copie de leur prof. Sujet choisi : Huxley et notre société hypersexualisée.
Surexposition du corps féminin, sexualité dépourvue de signification, sexualisation de l'enfance : comment ne pas penser au livre Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley ? Dans ce monde, les activités sexuelles des enfants sont considérées non seulement normales mais également souhaitables. Ils reçoivent un enseignement hypnopédique de «sexe élémentaire», on rencontre un petit garçon de sept ans et une petite fille de huit «s'amusant à un jeu sexuel rudimentaire» et des centaines d'enfants rassemblés prenant part «à des jeux de construction et de modelage, au zip furet et à des jeux érotiques».
Si notre monde représente l'enfant comme un «adulte sexuel miniature», Huxley, lui, pousse cette image jusqu'à la renverser. Selon lui, la précocité sexuelle provoquée ainsi que l'accès facile à la sexualité font en sorte que les adultes demeurent des enfants aux niveaux émotif et moral : «Des adultes, intellectuellement et pendant les heures de travail, [...] des bébés en ce qui concerne le sentiment et le désir.» La sexualisation précoce rendrait donc la maturité et l'autonomie, sinon impossibles, du moins très difficiles et du coup extrêmement rares.
Dans le Meilleur des Mondes Huxley, nous dépeint une société « heureuse » parce que libérée des émotions et de l’intériorité.
D'ailleurs, l'intimité est la rencontre de deux intériorités. Et l'intériorité se construit dans le calme et la solitude, par les pensées et les rêves. Or on fait tout pour empêcher qu'un individu ait de l'intériorité. La solitude est proscrite. La réflexion aussi. Il ne doit pas y avoir de sentiments. Dès lors, la sexualité est ravalée au rang de loisir, de divertissement. S'il en était autrement, l'ordre social s'en trouverait menacé. Pour qu'il subsiste, il faut que tous adhèrent à l'adage selon lequel «chacun appartient à tous les autres». Et s'il arrive à quelqu'un de ressentir le vide, le manque, la tristesse, il a toujours sous la main le soma, médicament du bonheur.
Pour Huxley, donc, l'hypersexualisation est un instrument d'abrutissement des humains. Elle contribue à la perte d'identité (rapport à soi) et d'intimité (rapport à l'autre) et rend les gens d'autant plus perméables aux slogans qui les portent à la consommation de biens futiles. À l'inverse, malgré le conditionnement, la perspective de l'intimité est toujours perçue comme possible et menaçante pour la société du Meilleur des mondes.
Je suis certaine que ces quelques lignes vous feront froid dans le dos tant le monde décrit avant la guerre de 40, et que Huxley situait dans 600 ans, ressemble fort au nôtre.
Autre penseur, Jean-Philippe de Tonnac, journaliste, nous présente ces adultes chastes qui seraient de plus en plus nombreux en Europe et aux USA. Surtout chez les trentenaires. (La révolution asexuelle chez Albin Michel)

restaurer la conscience

Pourquoi donc aborder ce thème dans une LEM ? Tout simplement parce qu’il me semble important que les médecins puissent accompagner des patients de plus en plus déboussolés par les diktats de certains gourous du sexe qui décident qu’il existe une norme absolue et que refuser de faire « crac-crac » est très mauvais pour la santé.
Nous ne pouvons que faire un lien entre le monde décrit par Elaine Larochelle et celui de Jean Philippe de Tonnac. Trop de sexe tue le sexe. Comment demander à une partie non négligeable de nos Tanguy de vivre comme des adultes. Comment leur donner le goût de la responsabilité, de l’engagement, du désir dans une société qui fait de l’intimité la couverture des journaux à scandale ?
Comment leur donner confiance en leur compétence d’être humains ?

renforcer la compétence

Quelle est donc notre part de responsabilité, à nous soignants, médecins ou psy dans cette « perte d’identité et d’intimité ». Elle est certainement très grande dans notre volonté de déculpabilisation, de tolérance, de dédramatisation… Grande aussi dans le psy à tout prix pour avoir confiance en soi.
Combien d’entre nous ont eu à expliquer à une mère que donner la pilule à sa fille de 12 ans n’est peut-être pas judicieux… et combien d’entre nous l’ont-ils fait sous le fallacieux prétexte qu’on ne pouvait pas l’empêcher de « s’éclater » alors qu’il valait mieux éviter le pire ! Combien d’actes de chirurgie esthétique à la limite du supportable pour séduire à tout prix ? (voir l’édifiant concours de Miss Swann)
Il n’est pas ici question de morale, juste de bon sens. De sens tout court à vrai dire. Le sens d’une vie loin de l’hyperconsommation, des divertissements idiots, des matraquages du genre coupe du monde par les médias.
Nous lisions il y a quelques jours dans nos LEM que l’hyper technicité galopante de la médecine retirait toute proximité avec les personnes qui venaient nous voir. Nous assistons désolés à la mise en place de deux spécialités : d’un côté les médecins et leurs batteries d’examens en tous genres et de l’autre les psys, justification facile de l’abandon du lien dans la relation de soins.
Loin de moi de penser que l’une ou l’autre sont inutiles mais leur éloignement renforce chaque jour d’avantage l’impression hallucinante d’être un des bêtas d’Aldous. Mais je peux me rassurer : les alphas veillent !
Je laisserais la conclusion à Elaine Larochelle :
À la différence du Meilleur des mondes, nos sociétés libérales n'ont pas connu de campagne ouverte et violente contre le passé : personne n'a fermé les musées, détruit les monuments historiques et supprimé la grande littérature. Mais dans nos démocraties, alors que les grandes oeuvres devraient être valorisées et accessibles à plus de gens (parce qu'elles stimulent la réflexion et que la réflexion personnelle est nécessaire pour que la démocratie ne soit pas démagogie), leurs effets sont neutralisés à l'avance par une campagne douce et insidieuse : celle du divertissement facile et de la sexualité, celle du divertissement empreint de sexualité.
Habitués aux sensations fortes, aux images fortes qui interpellent directement l'instinct sexuel, quel intérêt auront les élèves, et les gens en général, pour les oeuvres qui demandent un effort, qui s'adressent non pas au corps mais au coeur et à l'intelligence ?
Quel beau défi pour les soignants que de rester, envers et contre tout, les médecins du cœur ?
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(1) NDLR : Aldous Huxley - 1894-1963 - romancier britannique a écrit en 1932 “ Brave New World” titre traduit en français par “ Le meilleur des mondes”. Petit fils d’un biologiste partisan de Darwin, frère d’un zoologiste qui fut le premier directeur de l’UNESCO en 1946, et demi-frère d’Andrew Fielding, neurologue et Prix Nobel de médecine 1963 avec un certain Hogkin.
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NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver, ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plaît, vous déplaît ou vous semble mériter telle ou telle réponse, d'un simple clic sur le lien "Lui écrire" en haut de page, un courrier électronique de votre part parviendra à l'auteur.
FMM, webmestre.

 


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