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 N° 462
 
 
 
    4 septembre 2006
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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L’humanisme en question

Docteur François-Marie Michaut Lui écrire

Il est de bon ton dans nos pays favorisés de se dire humaniste, sans vraiment prendre la peine d’expliquer exactement ce qu’on entend par là. S’agit-il d’une simple préoccupation de salon de doux rêveur idéaliste ? En 2006 encore, les déferlements atroces des conséquences mondiales de tous les fanatismes, au nom de quel dieu ou doctrine que se soit qu’ils emprisonnent, torturent, pillent, violent, tuent, oppriment les humains montrent bien l’actualité de la question.

retrouver la confiance

Car, il y a déjà longtemps qu’on parle des grands humanistes sous nos cieux. En fait, depuis la Renaissance, cette période qui a suivi notre Moyen-âge. Pour fixer les choses pour nos lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec notre histoire occidentale à la charnière du 15 ème et du 16ème siècle de notre ère chrétienne. Avec Colomb, Magellan, Vasco de Gama, Diaz, Cabot et bien d’autres,les limites de nos horizons connus explosent. La vieille Europe catholique romaine connait de fait ce que certains nommeraient aujourd’hui sa première “mondialisation”. Tous les schémas anciens de perception du monde, toutes les connaissances qu’on croyait établies pour toujours - y compris la médecine- s’en trouvent fortement ébranlées. Et pour couronner ce tableau, un certain Gutenberg venait juste de mettre au point un système d’imprimerie à caractères métalliques mobiles. Incroyable bon en avant technique qui allait révolutionner la transmission et l’échange à distance des connaissances humaines.
Cet Internet qui nous émerveille tant n’en est qu’un perfectionnement et un prolongement dont nous sommes bien loin d’avoir pu mesurer toutes les conséquences.

restaurer la conscience

Dans ce monde en pleine mutation, un homme domine. Fils illégitime d’un prêtre, rapidement orphelin puis moine, on ne sait pas grand chose de cet homme qui se fit appeler Erasmus Roterdami. Car ce n’est qu’en latin qu’il parla et écrivit toute sa vie. Langue religieuse et savante, certes, mais surtout langue internationale. Erasme ne fut l’homme d’aucun pays, et déménagea de nombreuses fois, au gré des événements. Il fut surtout l’un des premiers à demander que la toute puissante église qui dirigeait tous les pays se regarde en face et mette fin à des pratiques devenues bien éloignées de l’Evangile. Retour aux textes fondateurs de la religion, voilà le message qu’il diffusa. Dans le même temps, il écrivit de multiples livres, se livra à de nombreuses traductions, cultiva avec acharnement et discrétion tous les savoirs, entra en contact avec des correspondants de toute l’Europe. Cet homme eut une énorme notoriété, une influence intellectuelle, y compris auprès des princes et des puissants dont nous ne pouvons plus imaginer l’ampleur. Erasme choisit toujours de protéger son indépendance et sa liberté d’expression. Jamais, il se s’associa à quelque mouvement que se soit. Jamais, il ne devint riche. Son ennemi irréductible portait un nom : le fanatisme. Pour le combattre, il répugna à toute polémique et ne prôna qu’un remède : la connaissance. Il refusa tout engagement partisan, et entra dans un combat avec le moine Martin Luther. L’histoire du moment conclut que le vainqueur fut sans aucun doute Luther. Le militant intraitable, le guerrier impitoyable, le chef envoûteur de foules eut le dessus sur le lucide et discret Erasme. Avec hélas, la suite que l’on connaît, et ses terrifiants guerres de religions qui déchirèrent toute l’Europe, et ses élites, pendant des dizaines et des dizaines d’années. D’après celui qui nous a servi de guide ( Stefan Zweig, Erasme, Livre de Poche 2001 ), c’est par ce fiasco que se termine l’épopée de cette grande idée de la Renaissance : c’est par la connaissance que l’homme peut sortir de l’ignorance et échapper ainsi au pire ennemi des hommes , le fanatisme. Cet ouvrage comporte en guise de sous-titre la formule : Grandeur et décadence d’une idée. Il n’est pas inutile de savoir que Zweig, juif autrichien, écrivit ce texte en 1935. Déjà la montée du nazisme était évidente, et Zweig, désespéré, avait quitté son pays. Réfugié finalement au Brésil, il décida en 1941 de mettre fin à ses jours, avec sa compagne.

renforcer la compétence

Et bien, nous pouvons le constater soixante dix ans après, l’idée des Humanistes, finalement ne mourut pas. Ces frontières entre religions, entre états, entre langues, finalement nous sommes parvenus à les faire sauter en grande partie dans notre vieille Europe. Tout n’y est pas parfait, c’est évident. Mais dans un monde où les fanatismes s’entretuent toujours aussi méthodiquement, car ils ne peuvent rien produire d’autre, il existe un espace dans lequel se construit jour après jour notre avenir, nos systèmes de valeur. Ce mouvement, mis en route il y a si longtemps, qui a connu de tels revers, de telles fluctuations, personne n’est plus en mesure de le détruire définitivement. Finalement, réjouissons-nous que le programme qui permet aux étudiants de tous les pays d’Europe d’aller faire une partie de leur études dans un autre pays, et de donner ainsi chair au mixage européen se nomme : Erasme.
Erasme, qu’on ne s’y trompe pas, est le grand vainqueur de notre société actuelle, lui qui fut l’ami et le correspondant acharné de Montaigne et de notre cher François Rabelais, pour nous ramener à la médecine. Trente à quarante lettres manuscrites par jour jusqu’à la mort, toutes en latin, la langue de la connaissance de toutes les connaissances, et à la plume, ça, c’est un véritable homme de lettres. A l’opposé absolu d’un quelconque militant qui fera infiniment plus parler de lui. Un désir de connaissance sans le moindre souci des frontières entre les multiples chapelles de l’esprit, des lieux ni même des temps, mais avec la volonté de ne pas éviter la question fondamentale du bien et du mal, ou si vous préférez de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, sain ou malsain, pour les hommes que nous sommes, cela n’a pas pris une ride. Travailler ainsi pour que le lent et désespérément tortueux cheminement vers un meilleur accomplissement de notre humanité puisse accomplir encore un petit pas, malgré toutes les violences, cela ne donne-t-il pas un sens à notre court voyage terrestre ?
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NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver, ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plaît, vous déplaît ou vous semble mériter telle ou telle réponse, d'un simple clic sur le lien "Lui écrire" en haut de page, un courrier électronique de votre part parviendra à l'auteur.
FMM, webmestre.

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court :« Ce qu’il y a de pire chez le fanatique, c’est la sincérité. »
Oscar Wilde


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