Il est connu que la consommation de drogues s’est banalisée chez les adolescents à la recherche de sensations fortes. La prise de cannabis a explosé depuis ces quarante dernières années, et une étude finlandaise, la plus grande réalisée à ce jour, portant sur 6330 adolescents âgés de 15 à 16 ans vient de confirmer la nocivité psychiatrique du cannabis (herbe et/ou résine de cannabis). La consommation d’alcool a aussi augmenté dans des proportions effrayantes. Les hospitalisations pour comas éthyliques ont augmenté de 50 % en 2007 chez les lycéens.
La banalisation de la drogue touche aussi les adultes. C’est devenu un fait de société presque normal. Un reportage d’Envoyé Spécial diffusé en prime time récemment a eu pour thème le tourisme hallucinogène au Pérou. Le choix du reportage est éloquent et inquiétant, et illustre l’impact de la “ téléification “ des esprits (1), le petit écran concourant à banaliser les substances modifiant la chimie du cerveau et la personnalité. Dans le reportage d’Envoyé Spécial, le tourisme hallucinogène est un fait de société décrit comme « un mouvement culturel » animé « par un désir de reconversion spirituelle» .
Le reportage reprend, sans le mentionner, une partie du rapport de la MIVILUDES 2005 sur les dérives sectaires du chamanisme amazonien (2), mais il occulte cet aspect sulfureux pour que le sujet devienne passe-partout. Des personnes ayant des soucis existentiels sont recrutées sur des forums pour aller séjourner au Pérou dans un camp de vacances hallucinogène “tendance” monté par un chaman péruvien. Leur projet n’est pas de converser à bâtons rompus sur les us et coutumes locales mais de suivre une thérapie chamanique (3) à base d’ayahuasca, un hallucinogène puissant susceptible de résoudre tous les maux par « des expériences mystiques dans le labyrinthe de l’inconscient ». De quoi rendre jaloux les psys formés à l’université.
Mais pourquoi ce séjour au Pérou est-il inquiétant, et est ce vraiment raisonnable d’ingérer l’ayahuasca ?
Cette drogue hallucinogène est utilisée par les Indiens d’Amazonie depuis des millénaires. Ses effets sont proches du L.S.D., le psycho-actif de référence avec ses effets secondaires néfastes. L’ayahuasca est le produit de deux plantes issues du biotope amazonien, et elle est interdite en France depuis 2005 et dans d’autres pays européens. La potion psychédélique est légale au Pérou où elle est utilisée en médecine primaire pour les populations locales. Le héros du reportage d’Envoyé Spécial est chaman de père en fils depuis des générations. Ce qui serait en soi rassurant si l’on n’avait pas lu le rapport 2005 de la MIVILUDES, et si l’on n’avait pas eu vent des cas de décompensations psychiatriques, de cas de suicides quelques mois après l’avoir prise, des comas et des morts par overdose. Sous la houlette de ce chaman comparé à un « psychothérapeute (sic) », les touristes présentés dans le reportage ingèrent l’hallucinogène amazonien à doses massives pour soigner les maux existentiels que la médecine occidentale ne saurait pas prendre en charge efficacement. Ce séjour, c’est du sérieux : Le camp est fermé et gardé nuit et jour par des hommes armés jusqu’aux dents, une nourriture frugale non carnée est proposée aux vacanciers astreints à une diète stricte pour ingérer l’hallucinogène afin de ne pas provoquer des incompatibilités dans l’organisme et les rendre malades . Avoir des hallucinations comparables à celles du L.S.D. n’est pas le symptôme d’un trouble psychique, bien au contraire !
Le logement des vacanciers est spartiate, et l’on voit au cours des séances de groupe les vacanciers qui ingèrent des doses massives d’hallucinogène en l’espace d’une douzaine de jours encadrés par le chaman et ses assistants. L’une des séquences les plus troublantes du reportage « à la frontière du surnaturel » est celle d’une vacancière en transe investie par l’esprit d’un jaguar. Cette métamorphose a des airs de parenté avec la lycanthropie, cette faculté de se changer en loup-garou renvoyant aux affaires de sorciers et à l’ensorcellement au Moyen Âge .
La thérapie chamanique a séduit un chirurgien français qui est bien décidé à se reconvertir professionnellement en chaman pour soigner.
Les dérives de l’ayahuasca ne résident pas uniquement dans une emprise chimique, une action pharmacologique spécifique qui oppose les scientifiques rationalistes à ceux du MAPS (The Multidisciplinary Association for Psychedelics Studies), un organisme privé financé par des fonds tout aussi privés (4). Cette fondation regroupe les scientifiques prosélytes des psychédéliques dans le soin psychique à la place des molécules officielles, et des psychothérapies alternatives se substituant aux psychothérapies officielles (psychanalyse,TCC). Leurs chercheurs publient des expérimentations sous psychédéliques répertoriées dans la base de données Medline, ce qui entretient une confusion chez les partisans de la légalisation des drogues au niveau de la méthodologie employée. Une grande partie de l’emprise mentale sous ayahuasca se met insidieusement en place après/ou en même temps que l’emprise chimique. Cette synergie provoque une modification cognitive et comportementale par l’adhésion à des croyances au surnaturel. L’un des objectifs recherché dans la thérapie chamanique à l’usage des Occidentaux est d’occulter leur mode de pensée cartésien pour déstructurer leur vision du monde à l’origine de leur mal être. La pensée magique devient alors un mode de fonctionnement qui doit être prioritaire par rapport à la pensée rationnelle. L’irrationnel devient l’indice de normalité nécessaire de la nouvelle personnalité. Ce process de double emprise (chimique et cognitive) se fait en partie lors des phases hallucinatoires lorsque la personne est fortement suggestible et est dépendante d’une aide extérieure pendant la phase d’ivresse spécifique à cette drogue. La grande difficulté pour recueillir les propos des victimes est d’arriver à lever leurs résistances liées à cette pensée magique ; elle induit chez les victimes des peurs irrationnelles liées à l’existence de la magie noire, de la sorcellerie, bref à la réalité du paranormal.
Le contrepoint d’un médecin péruvien interviewé est sans appel : il se montre très réservé sur ce tourisme hallucinogène, et il déconseille fortement l’hallucinogène aux Occidentaux qu’il évalue dangereux pour eux. Les recommandations des dirigeants des centres de vacances hallucinogènes listant les contre-indications pour ceux qui souffrent d’hypertension, de troubles cardiaques ou qui suivent un traitement antidépresseur sont nettement insuffisantes . Pour réduire les risques liées à la prise du psychédélique amazonien, il faudrait que les vacanciers se munissent d’une expertise psychiatrique et de plusieurs certificats médicaux.
Malheureusement, l’attrait exotique, la recherche de solutions miracles en dehors de la médecine scientifique l’emportent sur le principe de précaution, et les avis éclairés des professionnels de la santé. Les arguments pseudo-scientifiques de la thérapie chamanique ont le vent en poupe parmi les moutons de Panurge des adeptes pro-médecines alternatives.
L’usage d’autres drogues sacrées comme l’iboga, le peyolt, les champignons mexicains s’est aussi banalisé par l’intermédiaire du Net. La Toile devient alors un moyen de diffusion d’informations pseudoscientifiques qui méprise la santé des usagers, viole les droits de l’homme et perturbe leur sens critique. Ce chamanisme à l’usage des Occidentaux est clairement une dérive psychothérapeutique inacceptable pour la psychologie scientifique même lorsqu’elle n’est pas supposée être sectaire.
Pour en savoir plus:
(1) Exmed CO du 22 juillet 2008, La détéléification des esprits, Dr F-M.Michaut, http://www.exmed.org/exmed/co2008c.html
(2) Rapport de la MIVILUDES
http://www.miviludes.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_MIVILUDES_2005-2.pdf
(3) Conférence “Le chamanisme, une nouvelle voie d’utilisation sectaire des drogues Nicole Bétrencourt invitée par le GEMPPI dans le cadre du colloque de Bruxelles FECRIS 2006:
http://griess.st1.at/gsk/fecris/francais%20Betrencourt.htm
(4) Site du MAPS:
http://www.maps.org/research/
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