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 N° 608
 
 
 
     6 juillet 2009
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Looki-jeunisme et éphébophilie

Jacques GrieuJacques Grieu lui écrire

Quand j’étais tout jeunot, j’imitais mon grand-père.
Il m’apprenait beaucoup, me servait de repère,
Sa parole m’était d’or, c’était celle d’un oracle,
Et ses sages conseils m’évitaient les obstacles.
Aujourd’hui, c’est l’inverse ; les vieux singent la jeunesse !
Ils imitent ses manies, encensent ses petitesses,
Copiant ridiculement son langage et ses tics.
C’est peut-être « super ». C’est surtout pathétique …
Quand tout ce qui est jeune est sur un piédestal,
Le « devenir adulte » n’est plus un idéal.
Les choses à raconter, les histoires, le vécu,
Ce sont « venant des vieux », qu’ils nous sont parvenus !
Pour pouvoir innover, il faut des souvenirs,
Et ce sont les croulants qui savent les faire surgir !
Place aux jeunes, mort aux vieux ; même si ce n’est pas dit,
On sent bien que dans l’air, vieillir devient délit.

Mon vieil ami Étienne, observateur anxieux,
Déplorait, lui aussi, ce fléau pernicieux :
- Le « lookisme », tu connais ?  Cette méthode-étiquetage,
Qui fait qu’on juge les gens sur l’apparence de l’âge ?
 Nos pays d’occident, nos belles démocraties,
Sont menacés maintenant par cette grave pandémie.
Car ce mal insidieux depuis cinq décennies,
Sournoisement nous ronge comme une litanie.
Pire que les grippes aviaires, asiatiques ou porcines,
Cette curieuse maladie résiste à toute médecine ;
C’est que ses déficiences sont tellement imbéciles,
Que même les plus atteints en nient tous les périls.
Je parle du jeunisme, ce culte omniprésent,
Qui fait que tout est beau s’il vient d’adolescents.
Cette sorte d’idolâtrie qui ferait que l’enfant,
Serve d’exemple, de modèle, voire de guide aux parents.
Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés.
La Fontaine, en son temps nous aurait détrompés.
Mais ce vieux fabuliste est bien trop obsolète ;
Il irrite la jeunesse qu’à l’école il embête.

- Étienne, tu exagères, lui dis-je pour le piquer,
Et ainsi relancer sa saine colère braquée.
- Ne fais pas de nos jeunes de faciles responsables
Qui nous ringardiseraient pour mieux nous voir coupables.
Nous qui sommes retraités, ne manquons pas de pain,
Excusons la rancœur de ceux dans le besoin,
Qui payent nos retraites, inquiets du lendemain,
Et que le chômage guète. N’y serions-nous pour rien ?
Étienne, chacun le sait, adore la jeunesse, 
Et il est incapable de théories vengeresses :
- Mais de cette douce manie, c’est bien nous les comptables !
Nous qui singeons les jeunes, que nos vieillesses accablent !
Me répondit ce sage qui n’est pas né d’hier.
Mais justement d’hier ou bien pire d’avant-hier,
C’est une tare d’être né. Celle de la vieillesse,
De la retraite, de l’âge, des rides et des faiblesses.
Pour être plus crédible, pour inspirer confiance,
La logique voudrait qu’on aime l’expérience.
Mais c’est tout le contraire qu’il faut privilégier :
Il faut avoir l’air jeune, c’est la base du métier.
La clef de tout succès, c’est d’avoir la peau lisse
(Et les esthéticiens en ont le bénéfice),
Des vêtements dernière mode, de jouer au tennis
(Même si vos vieilles douleurs vous en font un supplice).

Vous devez « être au top », dynamique, performant,
Toujours « in » et moderne, et partout jouer gagnant.
On voit donc des vieillards s’encombrer d’MP3,
Faire du body-building sans trop savoir pourquoi,
S’extasier sur du rap au lieu d’écouter Bach,
Et craindre comme la peste de paraître « réac ».
Fort consciencieusement, ils regardent la « starac »
Au lieu de relire Proust, Stéphan Zweig ou Balzac.
Démodés les Anciens, les Grecs et les Romains !
On rit d’eux, mais on vit comme les Américains.
Avec docilité, on admire les BD,
Même si fort infantiles et bien pauvres d’idées.
Les grand-pères portent le short, les grand-mères vont danser.
Faites donc comme font les jeunes, ou bien disparaissez.
Tel est le « B-A –BA » qu’imposent nos sociétés.
Le culte du mercantile n’en est pas excepté.

Ne parlez plus des vieux, mais prononcez « seniors »
Déguisez-vous en jeune : vous supprimerez la mort.
La mort ? Ce mot barbare, existerait encore ?
Prononcez plutôt « fin » pour que ça édulcore.
Cette juvénocratie est une dictature,
Mais créée par les vieux qui en font une culture.
A l’abri du réel, on cajole nos enfants ;
Maîtres, pères, mères : tous coupables repentants !
Et si ces chers petits, venaient à s’ennuyer ?
Vite, il faut les distraire, ils ont trop travaillé !
L’interdit d’interdire, nous a fait bien du mal,
Ce diktat immature est bien occidental :
Essayez au Maghreb, en Asie, en Afrique,
On vous prendra bien vite pour un fou maléfique.
Cachez-moi donc ces vieux, que je ne saurais voir !
Tartuffe n’est plus présent pour servir d’exutoire …
Face au vieil imbécile, vive le jeune crétin :
Est-ce sur ce beau principe qu’il faut vivre demain ?

Se passer des anciens, c’est perdre notre mémoire
L’humanité de l’homme, cesserait-on d’y croire ?
A mes enfants, j’ai dit : moi je sais ce que c’est,
Que d’avoir eu vingt ans. Mais, toi, tel que tu es,
Tu voudrais deviner, comment, à soixante ans,
On apprécie la vie, on digère tout ce temps !
Si l’éphébophilie est le mythe à la mode,
On en voit les effets. C’est sans doute une période ;
On sait que dans cinq ans, les plus de cinquante ans,
Seront sur notre sol, le plus fort contingent.
La France coupée en deux ? La gérontophobie
Ne saurait s’installer comme une règle de vie.
Étienne n’est pas inquiet et se veut optimiste :
Le culte du yéyé sera irréaliste,
Le zapping et le bruit, le rendement, la violence,
C’est la démographie qui leur fera silence.
Les « pépés et mémés » à nouveau acceptables ?
Se réjouir de vieillir deviendra pardonnable …


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renforcer la compétence



NDLR : Cette lettre illustre l’article 8 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :

- 8°) Je ne renoncerai pas à protéger les personnes affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou dans leur dignité.


Os court :<<L’homme serait probablement un animal assez supportable s’il consentait un peu moins à se laisser emmerder par ceux qui veulent faire son bonheur. >>
Louis Scutenaire


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