Ils me donnent le tournis, j’en deviens obsédé,
Je ne suis pas content, je me sens possédé.
Dans ma bonne ville du Havre, ils sont omniprésents,
Et leurs couleurs criardes me hantent à chaque instant,
Pire que celles des autos qui envahissent nos villes.
On les subit partout comme de gros jouets débiles.
Sur les ponts des bateaux, sur huit ou neuf niveaux,
Soigneusement empilés comme au jeu du Légo,
Parfois jusqu’à vingt-deux bien collés en largeur,
Ils contiennent, ils contiennent : ce sont les conteneurs.
Qu’ils soient de quarante pieds ou bien de la moitié,
Contenir, contenir, c’est là tout leur métier.
Sur les quais, les pontons, les plateaux des wagons
Les abris provisoires, les remorques, les camions,
Les usines de la zone ou les terre-pleins du port,
Comme baraque de chantier, comme vestiaire pour le sport
Les conteneurs me guettent, me narguent, me font la nique.
Ces grands cercueils en tôle ne sont guère catholiques.
J’ai essayé en vain de les fuir en arctique,
Et les ai retrouvés jusque sous les tropiques.
Il prolifèrent, s’infiltrent, envahissent, se répandent,
Et même dans nos campagnes s’incrustent à la demande.
C’est une vaste pandémie à dimension mondiale,
Fabriqués en Asie, leur règne est triomphal.
Cette nuit, j’ai fait un rêve : c’était un conteneur,
Venu à marée haute, s’échouer sans aucun heurt
Par sa porte mazouteuse, s’échappaient des billets,
Des montagnes de yuans, deux euros, et mille jouets,
Des téléphones portables et plein d’ordinateurs.
Et soudain réveillé, ridiculement, j’eus peur.
Il faut se résigner : trop tard pour réagir !
Devant le conteneur, il faut se contenir.
Content ou pas content, l’heure n’est plus aux comptes,
L’économie du monde, de fée n’est pas un conte.
Ravalant ma colère, je fais bonne contenance,
Puisqu’aucun contentieux n’a plus la moindre chance.
Tout fiers de leurs carcasses fabriquées à la chaîne,
Au Japon, en Corée, ou en Chine, à Shenzhen,
Vecteur intermodal de nos savants stratèges,
Parfois climatisés, assemblés en cortège,
Ils sont chambres d’étudiants ou bungalows errants,
Restaurants amovibles, abris itinérants …
A base de conteneurs, de grands pâtés se font,
Qui contiennent des logements, des bureaux, des maisons.
Au bas des empilements, on trouve aussi des banques
Qui comme dans des rues auxquelles rien ne manque,
Ont aussi des boutiques, des bouchers, des coiffeurs …
Comment pouvait-on vivre, autrefois sans conteneur ?
Le comble pour un conteneur, contenant mille trésors,
Est de perdre contenance dès qu’il part à l’export .
Paraître incontinent, serait de mauvais goût,
Et pour un conteneur l’handicaperait beaucoup.
Qu’importe le contenu, ce qui compte, c’est contenir
C’est là sa vocation et il doit s’y tenir
Du vingt et unième siècle sera-t-il le symbole ?
De l’Asie triomphante brandissant l’auréole,
Restera-t-il contenant comme une parabole ?
L’enverra-t-on sur Mars en une vaste hyperbole ?
Si des extra-terrestres en voient un débarquer,
Nul doute que leur réflexe sera : le renvoyer.
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