Fouto-mania

;;;; ;;;;;; Jacques Grieu, lui écrire

Écoutez donc, braves gens, écoutez le doux son,
Qu’en entrant dans les buts vient produire le ballon.
Dix mille voix en délire hurlent leur délivrance,
Admirant onze fouteux s’embrassant dans les transes !
De tels exploits nous montrent une telle intelligence,
Leurs auteurs aussitôt, gagnent une telle prestance,
Qu’ils renvoient dans l’oubli les grands faits historiques,
Les discours politiques, les trouvailles scientifiques.
Sur les écrans télé ils supplantent les ministres
Et leurs propos géniaux sur les ondes on enregistre.
Ils deviennent des idoles, ils croulent sous les euros,
On parle du Panthéon pour ces sublimes héros.

Il faut dire qu’en matière de comptes foutebolistiques,
Un but est une rareté, un haut fait mirifique,
Une curiosité, une exception magique,
Prodige de purs esprits, un miracle technique.
Car dans ce jeu étrange, les scores d’un à zéro
Sont bien les plus fréquents, même chez les maestros.
Quand aux zéro-zéro, d’habitude si courants,
Ne dites pas qu’ils sont nuls comme un incompétent.
Admirez donc plutôt ces scores fleuves inachevés
Qui n’ont pu exprimer leur potentiel élevé :
C’est la faute de l’arbitre, de la pelouse, du temps,
Aucunement des champions qui ont tant de talent.

D’ailleurs, entendez les, ces splendides virtuoses
Dont les médias mendient les avis sur toutes choses :
Aux leaders politiques, ils donnent de sages leçons.
Prodiguant subtilement des conseils de gestion,
Ils proclament haut et fort de justes indignations.
Pour toutes les questions, ils ont des solutions,
Comme sur l’éducation, la monnaie, les régions,
Les discriminations et toutes les religions.
Sur tous les grands sujets, ils vous donnent la méthode
Et par leurs attitudes influencent même la mode.
Ils sont d’autant plus forts que dans leur grande sagesse,
Ils vivent là où l’impôt reste d’une douce petitesse.

Le foute guérit donc tout, c’est la drogue absolue.
Il lave les cerveaux, il les vide, c’est voulu.
Bien mieux que les dialyses, les lavements, l’aspirine,
Les antibiotiques, les vaccins, l’insuline,
Il anesthésie l’homme, annihile son jugement,
Accapare ses pensées et l’obsède totalement.
La pandémie fouteuse fonctionne comme un haschisch
Dont l’euphorie réjouit les pauvres comme les riches.
Le soir d’un très grand match, le français ne fait rien,
Et devant sa télé, c’est son souffle qu’il retient.
Stop aux invitations, aux rendez-vous galants ;
Même les amoureux ont déserté les bancs.

A quoi reconnaît-on la grandeur d’une nation ?
A son niveau de vie, à ses belles inventions ?
A son agriculture ou à son industrie ?
A ses hommes politiques, à sa démocratie ?
Vous n’y êtes pas du tout : ce qui fait son aura,
Que dans chaque pays, le peuple l’admirera,
Ce sera le renom de son équipe de foute
Qui fera dans le monde une nation qu’on redoute.
Mieux que ses sous-marins, mieux que ses porte-avions,
Elle brandira ses joueurs, ses coupes et ses fanions !
Moins chère que la bombe H, une équipe de foutebole,
De la gloire d’un grand peuple représente le symbole.

Alors, laissez tomber les thèses philosophiques,
Les élections, les grèves, les partis politiques.
Suivez plutôt le foute, les états d’âme des joueurs,
Leurs lectures, leurs loisirs, leurs régimes, leur labeur,
Leurs entraînements d’enfer, leurs crampes et leurs horions,
Leurs drames, leurs peines de cœur, leurs envies, leurs passions.
Pour leurs anniversaires, soyez pleins d’attentions,
Étudiez bien leurs goûts, leurs subtiles distractions,
S’ils passent de bonnes vacances, comment ils sont vêtus,
Toutes ces choses passionnantes pour voir marquer des buts.
Et leur moral fragile qui est sans aucun doute
L’ultime arme stratégique d’une grande équipe de foute.

J’entends tel avant-centre qui nous parle de sa mère,
Cet ailier droit touchant racontant son grand-père,
Et ce joueur orphelin justement en colère,
Ou ce goal brésilien qui adore le gruyère !
Ou bien cet espagnol qui risque de divorcer
Parce que du foutebole, sa femme en a assez.
C’est mieux que du Verlaine ! J’en suis ému aux larmes !
Pour ce sport c’est si beau, que les bonnes âmes se charment !
J’ai cessé de lire Marx, Stéphan Zweig et Flaubert :
A tous les romanciers, l’Équipe je préfère.
J’ai jeté mes Nothomb, d’Ormesson, Beigbeder,
Maintenant du foutebole, je fouille les grands mystères.

Bientôt la coupe du monde va faire hurler les masses.
On pense à nos champions ; il faut qu’ils se délassent.
Sont-ils bien reposés ? Et nourris ? Et logés ?
Ne sont-ils pas stressés, surmenés ou inquiets ?
On oublie les impôts, les modernisations,
La dette, les déficits et la spéculation.
Le foute est donc la clef pour résoudre toutes les crises,
Les putschs et les cracks, les faillites qui nous nuisent :
Envoyer nos ministres suivre des stages de foute,
Leur apprendrait comment éviter la banqueroute.
S’ils voulaient bien les mettre, les chaussures à crampons,
Leurs cendres à eux aussi, iraient au Panthéon.

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