Bis, l'an 2011

19 décembre 2011

Docteur François-Marie Michaut
lui écrire

Pour planter le décor de cette lettre, pas besoin d'y regarder à deux fois, ni de bisser quelque artiste que ce soit. Une chose bise est simplement d'une teinte grise tirant sur le marron me dit mon dictionnaire Hachette 2006.
   Accorder cette tonalité générale peu flamboyante à l'année tumultueuse que nous terminons de vivre dans peu de jours mérite quelques explications.

Retrouver la confiance

Les commentateurs à l'âme comptable ne manqueront pas de nous asséner les différents bilans qu'ils perçoivent au bout de leurs lorgnettes personnelles. Si cela ne vous fait pas périr d'ennui, n'hésitez pas à vous y reporter.
  Ici, grâce à la fidélité d'un lectorat capable de s'évader des sentiers battus de la sainte communication à la mode du temps, nous avons le privilège rare de chercher à observer les grands mouvements de perception des évènements. Pas de machine sophistiquée, pas de calculs savants, pas de logiciel miracle. Juste un peu de jus de neurone, en revendiquant sans honte toute la subjectivité d'une telle méthode.
Retrouver la confiance en sa propre compréhension des gens et des choses. Voilà un bien joli programme pour l'an neuf.
Parce que la confiance, notre confiance à tous, a été bien mise à mal au cours des derniers mois. Il est aussi inutile que cruel d'en dresser l'inventaire dans notre petit domaine de la santé. Chacun de nous en garde l'empreinte durable.
   Que personne ne s'y trompe, la foi aveugle dans les mérites incontestables des grands décideurs de notre système de soins est désormais du passé. Jamais plus elle ne reviendra. Beaucoup de gens, pour de multiples bonnes et mauvaises raisons, ne l'expriment pas ouvertement. Le calme trompeur avant la tempête destructrice, les marins avisés le connaissent bien.

Restaurer la conscience

Dans notre paysage sanitaire - à défaut, hélas, de pouvoir le qualifier de sain - quel type de conscience a pris la voie de la restauration dans la presque douzaine de mois dont nous sortons ? Du point de vue du public, les imbroglios de l'emblématique affaire dite « du médiator » ont porté un coup sévère à tout ce qui touche les médicaments. Sanctifiés jusqu'à l'idolâtrie, avec le concours actif d'une presse avide de sensationnel, et en mal chronique de lecteurs, les remèdes deviennent l'objet d'une sensible méfiance.
Depuis des années et des années, des médecins avisés n'ont pas cessé de dire et de redire ce qu'ils ont appris sur les bancs de la faculté, et qu'ils vérifient chaque jour dans leurs consultations. Tout médicament peut se révéler un poison. Sa prescription et sa surveillance ne peuvent être que du domaine d'un clinicien. Mais, quand la publicité télévisuelle ne cesse de pousser chaque jour les acheteurs vers des produits pharmaceutiques (naguère réservés aux seules prescriptions médicales), quand des pharmaciens d'officine proposent d'effectuer, contre rémunération, des consultations pour leurs clients, que pèsent les avis médicaux?
En ce qui concerne les soignants, toutes disciplines et modes d'exercice confondus, comment se porte en 2011 la conscience qu'ils ont de leurs métiers?
   Quels que soient les scandales, les affaires, les menaces de rationnement ou de désertification médicale, les taux de satisfaction des usagers restent au sommet pour les blouses blanches.
Cette appréciation flatteuse est-elle de nature à donner à nos professions le sentiment de leur importance et la certitude que, quelles que soient les difficultés de notre système d'organisation des soins, notre société a un besoin vital de leur travail au bénéfice des malades?
Il semble bien que non. Cette démotivation professionnelle est une évidence pour tous les observateurs. Ses causes sont multiples, mais cumulatives. Ses conséquences pour les malades sont imparables. Disons, pour parler sans excès, que c'est le chemin le plus sûr pour amoindrir la qualité des soins.

Renforcer la compétence

Le règne de la médiocrité pour une médecine qui se pensait encore à la fin du siècle dernier une des trois ou quatre meilleures du monde, est-ce bien cela que nous voulons ? C'est à chacun, acteur comme utilisateur des services aux personnes menacées par la maladie, de le dire clairement.
Le règne du quantitatif, le seul auquel puissent accéder nos administrateurs et gouvernants convertis à la religion du « management », a atteint sa limite. Ses effets destructeurs sur la qualité de l'implication personnelle des soignants comme de leurs enseignants et formateurs sautent aux yeux.
Tout le monde, de nos députés à nos associations charitables, en passant par nos chers assureurs, a voulu se substituer à nous pour nous diriger. Au nom des grands sentiments et de sainte économie, la patronne de notre modernité, cela va de soi.
   Les médecins, et leurs collaborateurs, ne se sont pas encore constitués en un ou plusieurs groupes d'expression audibles de toute la société. C'est un fait, que certains ne manquent pas de regretter.
Il est cependant audacieux et trompeur de tenir pour quantité négligeable ce qui se passe en ce moment dans les esprits des blouses blanches.
Les évènements de l'année 2012, même sans apocalypse hollywoodienne à la clé, nous en apprendront plus. Dans la mesure où nous garderons le contact avec la réalité sans nous laisser anesthésier par les habiles beaux parleurs monopolisant le devant de la scène.

   Retrouver la confiance en nos capacités intellectuelles pour restaurer la conscience de la valeur de nos métiers et renforcer notre compétence en ne comptant que sur nos seules forces.
Qu'en dîtes-vous pour sortir du gris dominant de notre an presque trépassé ?

Os court : «Bilan : document qui interdit de se raconter des histoires un mois sur douze.»
Philippe Bouvard
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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