Ça peut PAS le faire

5 mars 2012
Dr François-Marie Michaut
lui écrire

Comme moi, vous êtes soumis au matraquage verbal des expressions passe-partout à la mode hexagonale du moment. Il suffit de formuler une demande quelconque à un fournisseur, pour avoir automatiquement un «ça peut le faire». Généralement, cette réponse du genre faux-cul, qui se veut encourageante sans rien promettre, signifie qu'il y a de fortes chances pour que l'objet ou le service demandés ne seront pas disponibles au moment prévu.
    Cette période de discours politiques préélectoraux n'est pas sans enseignement pour une oreille médicale qui veut bien laisser au vestiaire son inclination naturelle dextrogyre ou lévogyre. Non pas pour se situer comme expert au dessus de la mêlée, ce serait outrecuidant, mais pour proposer une lecture systémique de notre réalité globale collective.

Retrouver la confiance

Les programmes fusent, les déclarations crépitent dans tous les sens, les flagorneries s'étalent sans pudeur, comme l'au cul des vaches obligatoire du salon de l'Agriculture, pour capter les bulletins de vote de telle ou telle catégorie. C'est le jeu de la démocratie, dit-on. Jeu, impossible d'en douter en consultant les images télévisuelles. Démocratie, c'est à dire le pouvoir du peuple de diriger la France, c'est moins convaincant tant les divisions et excommunications mutuelles tiennent le haut du pavé.
Alors, cette oreille médicale invoquée plus haut, aussi virtuelle et isolée soit-elle, sur quoi peut-elle se brancher ? Essentiellement sur ce que disent les candidats à la couronne républicaine à propos de la santé. En creux, cela saute aux yeux, ce qui ne se dit pas de leur part est de la plus haute importance.
Les discours sur la santé, après une série impressionnante de cafouillages - doux euphémisme - dans les sphères dirigeantes politico-administrativo-institutionno-industrielles, sont-ils de nature à nous permettre de «retrouver la confiance» ? Aucun élément objectif, d'où qu'il vienne des ténors de l'expression politique, ne peut le laisser augurer à la masse des défiants chroniques que nous sommes tous largement devenus.

Restaurer la conscience

Continuer de parler comme si la France pouvait (sans mentir honteusement) se glorifier encore d'être à l'avant-garde des systèmes de soin et d'assurance maladie du monde, voilà qui ne peut pas passer. Toutes les informations qui circulent librement sur Internet depuis des années font que les citoyens curieux peuvent savoir qu'un abîme existe entre les déclarations officielles et les réalités quotidiennes des malades comme de leurs soignants.
Il est frappant de constater l'étroitesse de vision de tout l'univers politique dans le domaine dit de la santé. L'inculture en matière de fonctionnement physiologique comme pathologique de tout être humain, largement partagée par toute l'intelligenzia nationale, ne peut autoriser aucune réflexion personnelle. Ce sont les experts qui sont priés de donner le la.
Et de quoi parlent-ils ? Mais de leur petite chapelle personnelle : l'assurance-maladie, l'hôpital public, l'université, les associations d'usagers, leur administration d'origine, les sujets à la mode etc... Chacun, dans un esprit lobbyiste, monte en épingle, pour en assurer la promotion, son propre centre d'intérêt.
   Il suffit de passer tout cela à la moulinette et l'on obtient une sorte de catalogue sans aucune ligne directrice. Le «primum non nocere» des médecins devient le «d'abord ne pas déplaire aux électeurs».
Conscience de ce qui peut favoriser l'état de santé personnel ou collectif de notre société, ou lui nuire ? Pas le moindre semblant d'un signal permettant de le diagnostiquer.
Conscience des conséquences sur notre bon fonctionnement des décisions politiques, de l'accroissement incessant des contraintes réglementaires, des retombées de notre environnement psychologique comme du milieu ambiant ? Grand silence sur les tribunes. « Pas assez électoral, mon fils» pour paraphraser une publicité automobile qui eut son heure de gloire.

Renforcer la compétence

Cet intertitre prend tout son sens ici. C'est bien de défaut de compétence dont nous souffrons. Prenez la peine de n'écouter vos experts que d'une oreille distraite. Demandez-vous ce qu'ils vous cachent avec leurs silences. Prenez la peine d'ouvrir votre esprit à ceux qui ne pensent pas uniquement comme des ingénieurs. Nous ne sommes pas dans le domaine de la mécanique ou de la production industrielle.
La matière première en question, c'est la chair humaine, c'est son esprit, c'est son âme (si pour vous peut encore exister la dimension spirituelle).
Toute société a ses médecins. Plus ou moins savants, plus ou moins techniquement performants, là n'est pas l'important. Toute vie humaine est un jour confrontée à la maladie ou au handicap. La fonction des médecins, Henri Laborit avait raison de la définir ainsi : «Les médecins font entrer les gens dans la maladie ou le handicap». Les médecins, et avec eux tous les soignants, sont des gens à part.
Le méconnaitre en tentant par tous les moyens administratifs et légaux de les traiter en ne tenant pas compte de cette particularité, c'est les condamner à disparaitre. Les fameux déserts médicaux, les spécialités sinistrées, la fuite vers des activités sans risque d'être trainé en justice, le vieillissement constant des médecins, autant de signaux d'alarme majeurs. Il y a là une pathologie de la médecine qui nécessite de vrais thérapeutes, et non quelques mesurettes prises à la hate par des esprits superficiels et pressés.
La société évolue, les pratiques médicales en subissent les retombées.
Les médecins, nos femmes et hommes médecins, sont écartelés entre ce qu'ils pensent devoir faire et l'image que leur renvoie le public.
En vérité, cette lettre le disait en titre : ça ne peut PAS le faire.
Laissons le mot de la fin à Éric Galam, généraliste et professeur de médecine générale à Paris, qui vient de publier un livre très important (1), sur lequel je reviendrai longuement dans une prochaine LEM.

«L'individu médecin fait partie des soins au même titre que ses divers outils diagnostiques ou thérapeutiques, les ressources qu'il mobilise ou les contraintes auxquelles il est soumis. Il mérite d'être respecté et accompagné avec attention et dignité non seulement pour son savoir et son statut social mais aussi pour son engagement au coeur de l'humanité».

(1) Eric Galam, L'erreur médicale, le burnout et le soignant, éditions Springer 2012, collection Progrès en sécurité des soins.

(Cliché J-P Guinot)


Os court : «Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant. »
Michel de Montaigne
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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