Médecins volants

14 mai 2012
Docteur François-Marie Michaut
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    Après avoir été des votants comme les autres, voici que, tels de modernes Icare, les praticiens français sont conviés à devenir des médecins volants. Dernière pièce à coudre à la liste des remèdes contre la pénurie médicale persistante de certains lieux de vie. Ce que nos journalistes nomment sans souci d'exagération, mais avec un ensemble dramatique touchant «les déserts médicaux».
   Les médecins sont-ils, au même titre que certains gaz chimiques, volatils ? Ou même volatilisables ? Après avoir salué comme il se doit notre cher Molière qui, en artisan du quiproquo, nous a laissé sa comédie « Le médecin volant», cette question mérite quelques instants d'attention.

Retrouver la confiance

Les médecins en début d'exercice hésitent de plus en plus à exercer en milieu rural ou dans des zones périurbaines populaires. Dans le même temps, le nombre total de diplômes de doctorat délivrés au niveau national ne fléchit pas. Un nombre de plus en plus grand de cabinets ne trouvent plus de successeurs. Les incitations financières, tout comme les facilités matérielles des autorités locales ne parviennent pas à renverser cette tendance. Le recrutement, à grand frais au bénéfice d'officines purement commerciales de recrutement, de médecins étrangers acceptant de s'expatrier loin de chez eux pour mieux gagner leur vie se solde par de multiples échecs. L'argent, seule réponse que nous avons pris l'habitude de voir utiliser devant tous les problèmes humains, se montre ici incapable de modifier des comportements humains.
   En France, comme dans tous les pays de même niveau socio-économique, l'habitude a été prise depuis des dizaines d'années, et dans toutes les régions, d'avoir en permanence à sa disposition un réseau de soignants de très haute densité. La disette actuelle, toute relative pour qui regarde un peu au delà de nos frontières européennes, est mal vécue par les enfants gâtés si facilement capricieux que nous sommes.

Restaurer la conscience

Pas assez de médecins dans certains coins, trop dans les quartiers nantis des métropoles ? Les pouvoirs publics se sentent obligés de faire plaisir à leurs chers électeurs : vite, il faut trouver une solution. La dernière trouvaille en date est nommée les médecins volants. Pour parler clairement, sont ainsi désignés des médecins travaillant déjà dans un secteur qui, en plus, comme dans des sortes «d'heures supplémentaires», accepteraient de se rendre périodiquement dans des zones dites sous-médicalisées. Le code de déontologie médicale interdit cependant, depuis qu'il existe, la pratique de la médecine foraine. Disposition folklorique que je trouvais cocassement anachronique dans mes jeunes années. J'avais tort.
  La lutte corporatiste contre les guérisseurs ambulants, et les bonimenteurs de foire n'est peut-être qu'une vision superficielle de ce que les médecins ont ressenti, sans savoir, ou oser, l'exprimer clairement. Notre fonction, malgré toutes ses dérives au fil du temps et des lieux est indissociable d'une fonction spirituelle .

Renforcer la compétence

La personne soignante est une partie de grande importance de la communauté dans laquelle il vit chaque jour. Peu importante est finalement l'image que le médecin peut avoir de lui-même, de la valeur de ce qu'il fait pour ses malades. Il est, bien malgré lui, le porteur d'une aura qui est liée à l'image que les autres se font de lui, et de ses pouvoirs sur la vie comme sur la mort.
  Imaginer des médecins parachutés hors de chez eux, comme des candidats députés par un état-major politique, ou des commandos militaires au delà des lignes, c'est tout simplement méconnaitre cette réalité aussi vieille que l'humanité. Le médecin, et il n'est pas le seul, ne peut exister pleinement que dans ses interactions de chaque jour avec les gens de son entourage culturel. Aucune société ne peut vivre spirituellement sans son médecin traditionnel, peu importe la dénomination de sa fonction.
Attention, ne nous laissons pas aveugler par les seuls aspects techniques des soins, il s'agit de quelque chose d'une toute autre importance que de maintenir ce fameux lien social cher aux sociologues.
  Nous touchons là le sens de l'humain, non pas pour l'imposer - selon nos critères personnels - à qui que ce soit, mais pour que chacun trouve progressivement dans ses rencontres avec le médecin ce qui est important pour vivre au mieux sa propre vie.
   Alors, de grâce, soyons sur nos gardes avec le principe des médecins volants. Eux-mêmes, amputés d'un bon morceau de leur être, risquent vite de se sentir des médecins volés. Qui, à votre avis, ne pourra faire autrement que de payer l'addition finale ? Je partage totalement votre avis, entre volants et volés, le français le dit, la marge est si étroite.

Os court : « Il ne sert à rien d'éprouver les plus beaux sentiments si l'on ne parvient pas à les communiquer.»

Stefan Zweig


Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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