Rendons d'emblée à César ce qui n'est qu'à lui. Le titre de ma lettre du jour est directement inspiré par le dernier film réalisé et joué par Robert Dhéry et Colette Brosset en 1974 : « Vos gueules, les mouettes !». Pourquoi les médecins, dont je ne saurais me désolidariser par une pirouette de langage, devraient-ils donc cesser de se faire entendre ? Depuis des années, ici, je ne cesse de pousser chacun à s'exprimer. Contradiction, machine arrière de ma part ?
Pas vraiment, et voici pourquoi. Il se passe en ce moment dans nos têtes une stupéfiante prise de conscience collective de ce que nous sommes, dans notre diversité, dans nos divisions, dans nos façons d'être. Peu importent les manifestations extérieures visibles que cela peut prendre. Les agitations de drapeau, les manifestations un peu trop surjouées dans la larmoyance de compassion à la mode des écrans, comme me l'a fait justement remarquer Cécile Bour, ne sont que des arbres qui ne doivent pas cacher la forêt d'un évènement collectif paradoxal. Nos ennemis mortels, ainsi se disent-ils eux-mêmes, ont été persuadés de faire exploser par leurs crimes une société totalement pourrie par sa décadence. Traduisons cela en langage médical : un état de dépression collective profonde nous paralysant totalement.
Pas de chance pour eux, les faits démontrent qu'il se sont complétement trompés. Leur djihadisme (1) exacerbé a entrainé une véritable purgation des esprits, ce que les psychanalystes, après les auteurs grecs, nomment une catharsis.
Alors quand nous ne cessons d'être inondés depuis des années de messages concernant notre santé personnelle, il est grand temps de pouvoir nous en libérer.
Transformer chaque citoyen en hypochondriaque ne peut qu'être le résultat du grand matraquage médiatique concernant les questions de santé. La confiscation du domaine de la santé des personnes par une pensée politique se réduisant comme peau de chagrin est une réalité rarement soulignée. Ce terrorisme sanitaire, car la manipulation constante de la peur de la maladie, de la souffrance et de la mort au bout, qui en est le ressort inépuisable, nous empêche de vivre sereinement notre présent. À titre personnel, même si ce n'est que provisoire et illusoire, nous avons besoin de croire à la capacité de notre corps de faire face, par ses propres ressources - loin d'être toutes connues et reconnues par la science - aux obstacles qu'il rencontre obligatoirement. Le culte de la santé, avec ses excroissances imbéciles du droit à la santé, de la promotion de la santé, de ministère de la santé, d'assurances santé et autre utilisations purement politiques et ... économiques de ce concept insaisissable, tout cela doit être mis au rebut des vieilleries intellectuelles toxiques. Les médecins, nous les médecins, balayons devant notre porte. Nous avons trop parlé, nous avons trop promis le paradis matériel sur terre, nous avons laissé croire que nous en savions bien plus long que ce que nous savons vraiment et nous avons infiniment trop laisser parler n'importe qui au nom d'une médecine idéale, quasi sanctifiée, sans avoir le courage de freiner les ardeurs excessives d'un nouveau clergé laïque corseté dans ses certitudes idéologiques. Les puissances d'argent, toujours à l'affût, se sont massivement engouffrées dans ce créneau jutteux, pour parler leur jargon.
Comme il est étrange que les actions homicides commises par une poignée de jeunes gens atteints de délire (2) aient comme conséquence immédiate un tel réveil des consciences anesthésiées !
C'est une cinglante défaite pour les stratèges de Daech qui n'ont pas pris la dimension de leurs ennemis.
Plus largement, et chez nous d'abord, c'est un avertissement à toutes les formes de harcèlement, y compris celui perpétré, en toute bonne conscience ou cynisme calculateur, au nom de notre santé, que nous subissons encore si passivement.
Notes :
(1) Le mot djihad, en arabe, signifie au sens premier : effort.
(2) Définition du Larousse : Perte du sens de la réalité se traduisant par un ensemble de convictions fausses, irrationnelles, auxquelles le sujet adhère de façon inébranlable.
Os court :
« Quand les despotes reviennent à la terreur, on peut dormir tranquille. Il n'y a là aucun progrès. »
Stanislaw Jerzy Lec
(1909-1966, poète et écrivain polonais)