Et sous les masques ...

                                   22 février 2021

   Qu'il est déjà loin le temps où l'on se querellait comme des chiffonniers sur le port de la burqa dans les lieux publics. Nous voilà, depuis bientôt un an, et sur contrordre des autorités politiques, tous avec le visage voilé pour entrer en contact, à plus d'un mètre, avec les autres masqués. Confinement sanitaire oblige, nous martèle-t-on au risque de devenir inaudible à force d'être répétitif.
   Expérience inédite, aussi loin que remontent nos souvenirs historiques, de privation générale de contacts sociaux. Incarcération pour tous alors qu'aucune de nos lois fondatrices n'a été violée.
   Face à face avec soi-même, ou en familial immédiat , durant des mois et des mois (1), cela ne peut que nous marquer au fer rouge. La prise de distance obligatoire, surtout pour nos plus jeunes ou nos plus fragiles, est une épreuve, un manque considérable. Le tous ensemble, en famille, tous les mêmes, entre nous, ceux comme nous, les réseaux de tout poil, nous en avons jadis fait un idéal de vie, un moyen de réussite sociale ou professionnelle. Pour ne pas dire, en paraphrasant Edouard Philippe ferraillant contre le virus, «notre seule boussole». Les grandes écoles, les filières d'enseignement ou professionnelles élitistes, nous en voyons les redoutables retombées dans les décisions qui sont prises en notre nom. Sinistre déconvenue : nous avons été trompés parce que nous nous sommes trompés nous-mêmes.

   Parce que, si nous avons le sentiment d'être contraints à l'immobilité obligatoire par ce que nous avons toujours fait depuis notre lointaine «hominisation», le monde autour de nous que nous avons bâti avant se fissure encore plus vite que ne s'étend le territoire du Coronavirus 2 avec ses variants.

   Pendant ce temps collectif suspendu, les activités individuelles libérées peuvent retrouver une vigueur inconnue en nous épargnant de multiples obligations de groupe. Les masques ne sont pas tous et toujours inutiles. La floraison de livres écrits et publiés durant la période de confinement est impressionnante. De qualité et d'intérêt fort divers, mais prétendant tous apporter un éclairage particulier et original sur le tohubohu de l'actualité. Du grain à moudre pour des esprits curieux, une opportunité de gain pour des auteurs et ceux qui ont pour métier de les vendre. Car, il n'y a pas que les masques, les gels désinfectants, les tests et les vaccins, les recherches scientifiques, les gadgets numériques qui font l'objet d'un commerce fort couru (2).

   Sous les masques qui musellent si lourdement nos expressions verbales et non verbales, nous vivons dans la solitude le deuil de ce qui a été, et qui ne pourra plus jamais être, parce que nous nous sommes égarés, en le construisant au fil des siècles, de nos mains et de nos cerveaux. Jusqu'à ce que la biosphère finisse par nous claquer entre les doigts, et nous tous, vivants parmi les autres vivants en interaction sans fin, ne nous condamnions à disparaitre.


Notes:

(1) Les ersatz numériques compulsivement surconsommés ne doivent pas faire illusion, ils ne sont pas la réalité. Juste des images très partielles et toujours, à l'image du cerveau de leur concepteur... partiales.
(2) Voici quelques uns des ouvrages fort divers publiés actuellement dont je me suis inspiré pour élaborer ce texte :
- Dominique Aubier : Rebâtir le monde (MLL 2020),
- Boris Cyrulnik : Des âmes et des saisons (Odile Jacob 2021)
- Bruno Latour :Où suis-je ? Leçons du confinement à l'usage des terrestres ( Les empécheurs de penser en rond 2021),
-Marc Lévy : C'est arrivé la nuit ( Robert Laffont 2020),
-Eric-Emmanuel Schmitt: Paradis perdu (Albin Michel 2021).


 

Os court :

« Nous sommes tous hébétés devant le foisonnement de détails, d'avis, d'opinions, d'expertises et de spécialités qui émiettent la réalité sous prétexte d'en assumer l'intelligence. Nous ne comprenons plus rien à ce qui se passe, à ce qui se fait. »

        Dominique Aubier ( ouvrage cité)

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