De qui souffrez-vous?
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Courrier à l'auteur

Index de l'ouvrage

 

 

CONCLUSION

 

Nous sommes arrivés au terme de ce voyage dans cette contrée à la fois familière et étrange de la médecine générale ou mieux de famille, vue et vécue par un praticien parmi des milliers d'autres . Il serait donc bien présomptueux à son auteur et acteur de se permettre d'en tirer des conclusions générales , et qui plus est pour toute une corporation dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle est fort variée . Chaque médecin a son mode particulier de compréhension de la réalité et d'exercice de son métier. Hélas, la tendance grandissante à la normalisation des comportements médicaux, les " protocoles" de soins, les " conférences de concensus" , les " références médicales opposables ", demain, peut-être le dossier médical informatisé " communicant" semble battre en brêche cette notion de simple bon sens. Il n'y a pas de médecine digne de ce nom sans un homme pour en conserver le bon usage et la maîtrise. Tous nos organisateurs en chambre n'y peuvent rien, quoiqu'ils tentent partout de claironner. Le cabinet du médecin reste encore un des seuls lieu où l'humain non aseptisé peut exister. Que ce serait dommage pour tous que cela disparaisse.

Le travail d'élaboration de cet ouvrage n'est qu'un moment d'une trajectoire professionnelle, et c'est évident, même si cela n'apparait qu'en filigrane dans ce qui n'est pas une autobiographie , d'une trajectoire de vie personnelle. On serait tenté de dire de façon approximative que deux seules notions ou valeurs se terminant en isme semblent l'avoir guidé plus que toute idéologie . Le pragmatisme , avant toute chose. Contrairement à nos amis anglosaxons, nous n'aimons pas beaucoup cela en France . Pourtant les faits sont là, quotidiens , inévitables et contraignants pour qui fait l'effort de les observer chaque jour tels qu'ils sont. Il sont souvent contrariants pour le Médecin Généraliste, convenons-en . Mais, selon une formule populaire assez largement employée , la règle est la suivante : le médecin doit « faire avec » . L'éclectisme également, qui chagrine quelque peu notre cartésianisme traditionnel et nos gouts maniaques des classifications , est aussi une source indispensable de créativité , de renouvellement. Le grand Picasso lui-même n'hésitait pas à fréquenter des lieux aussi peu reluisants que les décharges publiques. Ce fut parfois pour en tirer des chefs d'oeuvre comme la poussette d'enfant, sculture réalisée à partir d'une vieille tondeuse à gazon, qui fait l'admiration de tous les visiteurs de l' Hôtel Salé à Paris , et la joie de tous les enfants. Notre bon vieux Sophocle , dans sa Grèce antique, aurait certainement été fort surpris de savoir que son personnage d'Oedipe Roi contribuerait si fortement à la révolution des conceptions psychologiques de nos sociétés modernes , à la suite des travaux mondialement connus du docteur Sigmund ( ainsi choisit-il de faire nommer le Sigismund parental ) Freud , dans la Vienne impériale du début du siècle.

La médecine générale, au delà de ses aspects techniques bien codifiés est aussi un mode de vie pour ceux qui la pratiquent . L'alcoologie, dont nous avons parlé à plusieurs reprises, en est un aspect particulier très significatif mais encore trop peu développé par rapport au nombre considérable de personnes touchées par ce drame humain . Ces deux disciplines, la médecine générale et l'acoologie clinique trouvent peut-être de quoi alimenter quelques réflexions intéressantes dans ce travail. Le temps n'est plus où l'on puisse croire à de grandioses mouvements d'idées. L'actualité récente, avec l'effondrement des grandes idéologies de l'Est , démontre bien que nous ne croyons plus à la possibilité d'un grand système unique capable de rendre les hommes heureux. La médecine générale, notre médecine en tout cas, est une discipline à part entière , dont on parle si peu, et souvent si mal dans le grand public comme dans les cercles scientifiques et politiques . Dire qu'elle est ouvertement méprisée par certains confrères ayant grandi exclusivement dans le giron de l'hôpital n'est opas une affirmation outrée, ni gratuite. Hélas pour nos jeunes confrères. Elle n'est pas spectaculaire, donc ne passionne pas les médias friands de sensationnel. Très humainement, elle constitue un immense chantier où chacun des professionnels apporte chaque jour sa propre pierre , dans l'anonymat et le simple souçi de faire le mieux possible ce qu'il a à faire. Soigner ceux qui font appel à lui.

Ces quelques pages voudraient aussi contribuer à établir et renforcer une toute passerelle entre deux mondes qui ont jusqu'à maintenant un certain mal à communiquer entre eux en dehors du cadre feutré du cabinet médical : celui des Médecins Généralistes , et celui des utilisateurs de la médecine . Sous peine de dramatiques incompréhensions réciproques , ce pont doit pouvoir être élargi dans l'avenir , afin que ceux qui souffrent puissent faire état de leurs véritables besoins auprès de ceux qui ont pour mission de les soigner . Et on peut rêver. Peut-être, par exemple, ainsi sera-t-il possible un jour que le médecin généraliste puisse poser tout naturellement à son interlocuteur une question telle que : " De qui souffrez-vous ? ", et que le patient accepte ce type d'interrogation sans ce demander si son cher praticien n'est pas tombé sur la tête .

 

Certains lecteurs peuvent avoir été frappés par l'utilisation assez restreinte de références à des auteurs et des ouvrages se rapportant au sujet traité . Ce n'est pas vraiment est un choix volontaire . La réalité est qu'en dehors d'ouvrages romanesques , et là de multiples noms comme Céline, Duhamel , Rabelais, Tchekov ou Snitzler viennent à l'esprit, on a fort peu écrit sur ce sujet. La médecine, la pratique de la médecine vue de l'intérieur reste malheureusement un sujet inexploité. C'est infiniment regrettable, et le vent semble virer quand on constate le succès populaire incroyable de l'édition du roman de Martin Winkler ( La maladie de Sachs , P.O.L. 1998 ) . La nécessité pour notre profession de s'écrire elle-même ne fait pas encore l'unanimité dans nos rangs, malgré l'action de certains pionniers comme notre ami belge le Dr Marc Jamoulle, qui vient d'y consacrer un Site Internet.

Cette idée de dialogue entre le monde des soignants et celui des soignés, pour nous fondamentale, a été l'un des grands pricipes qui ont présidé à la création de notre propre Site Internet qui diffuse chaque semaine la Lettre d'Expression Médicale. Ainsi, nous allons plus loin, ainsi nous voulons compléter notre approche. Ainsi nous apportons notre pierre personnelle à ce que nous nommons la médecine de la médecine : la métamédecine. Et celle-ci ne peut se développer qu'au grand jour de la libre et honnête confrontation de tous ceux qui sont concernés par ce problème qui nous hante : celui de notre santé.

Ce texte , essentiellement fondé sur l'expérience clinique vécue d'un Médecin de famille , n'a pas pour but de remettre en cause l'utilité d'aucune de nos institutions et structures du monde de la santé. Mais, il faut le dire sans détour, ces remarquables , parfois indispensables, modes d'organisation génèrent aussi leurs propres effets pervers. Il nous faut témoigner pour l'avoir tant de fois observé sur le terrain, ceux-ci, au bout du compte sont toujours plus nuisibles aux utilisateurs qu'aux acteurs de la santé. Si l'on veut que des liaisons véritables puissent enfin s'établir entre la population et ses médecins , il ne faut pas hésiter à en parler en toute franchise. Cependant, nous n'en sommes encore qu'aux tout premiers balbutiements d'une telle médecine de l'homme, faite par des hommes , pour tous les hommes . Il y a dans une telle réconciliation profonde entre une société et sa médecine enfin débarrassée de toute son imagerie technicienne clinquante toute une voie de recherche à explorer et à exploiter au service de la santé de demain . S'il ne s'agit pas d'une direction propice aux échos spectaculaires dont sont si friands les médias de communication pour réveiller l'apathie grandissante de leurs contemporains blasés , les médecins généralistes, au côté d'autres acteurs , y ont et y auront de plus en plus à coeur de tenir pleinement leur place.

De la médecine de l'homme à la santé de la société, il n'y a qu'un pas à franchir, il n'y a qu'un autre dossier encore plus large à ouvrir. La mesure de ce qui se passe dans les échanges matériels de la grande maison humaine, c'est exactement cela l'économie. Alors, nous poursuivons nos investigations en cours dans cette direction. Celle de l'économie de la santé et de la santé de l'économie.

Enfin, la diffusion de cet ouvrage sur la Toile mondiale du web constitue le début d'une nouvelle aventure, dont les retombées éventuelles ne sont pas encore imaginables. A vous de réagir, de vous exprimer librement amis lecteurs. Nous, nous poursuivons nos réflexions sur notre Site Internet et chaque vendredi dans notre Lettre d'Expression Médicale où nous vous invitons cordialement.

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© François-Marie Michaut, 1998-2002, la Rochelle.

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