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La Lettre d'Expression Médicale
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 N° 642
 
 
       1er mars 2010  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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La philosophie de la médecine

Photo auteur ;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;; Docteur François-Marie Michaut , lui écrire

xxx  Oser associer les deux univers de la médecine et de la philosophie a quelque chose de scandaleux, voir même d’incestueusement obscurantiste pour de nombreux confrères. D’un côté, la rigueur du raisonnement scientifique appuyé sur une patiente observation des faits expérimentaux, et de l’autre toutes les incertitudes et les spéculations de nos multiples façons d’appréhender le monde.
Bien rares de nos jours demeurent ceux qui sont à fois médecin et philosophe. Aristote, Molière ne nous permet pas de l’oublier, a été, avec Hippocrate, la grande référence théorique des médecins occidentaux jusqu’au XVIII ème siècle. Et il serait bien injuste de ne pas faire mention du célèbre Maïmonide dont l’influence a été considérable (1).
L’enseignement de la médecine ne semble guère préoccupé de clarifier l’arrière plan idéologique qui lui sert de colonne vertébrale. De façon implicite, presque contagieuse, semble régner l’image d’une continuation naturelle du positivisme scientifique d’Auguste Conte qui fleure bon son XIXème siècle conquérant.

Un ouvrage publié en janvier 2010 et qui porte le titre sans fioriture de Médecine et philosophie ( 2) va nous servir de guide.
Anne Fagot-Largeault, son auteur , est un véritable médecin, qui a tenu à exercer à temps partiel depuis la fin de ses études des fonctions cliniques de psychiatre dans un service d’urgence, après un passage de plusieurs mois dans un cabinet de médecine générale. Elle est aussi une philosophe reconnue, notamment titulaire depuis 2001 de la chaire de Philosophie des sciences biologiques et médicales au Collège de France.
De façon bien arbitraire, et, que le lecteur m’en excuse, un peu réductrice pour la richesse de l’ouvrage, c’est son introduction qui va retenir toute notre attention.


retrouver la confiance

xxC’est la philosophie , jamais dite clairement , qui sous-tend tout acte médical, comme n’importe quel comportement humain, qu’il s’agit d’éclairer. Anne Fagot-Largeault nous propose trois affirmations, qui ne nécessitent aucune culture philosophique ou même littéraire particulière pour être comprises par le plus grand nombre.

La première est formulée ainsi : << Il y a du mal dans le monde >>.
Nous ne pouvons donc pas envisager de soigner les autres, que ce soit par la médecine comme par tous les autres métiers complémentaires , que parce que nous sommes persuadés que le monde, celui de la nature comme celui des hommes n’est pas parfait ?
Il est vrai que ne pas avoir conscience de ce que le monde n’est pas parfait en soi, tout simplement parce qu’il a été créé tel que nous le voyons par un créateur lui-même infaillible, constitue un barrage infranchissable. Les rapports entre les dogmes religieux et les pratiques médicales sont loin d’être paisibles. C’est cette option métaphysique ( au sens premier du terme : qui est au dessus du monde physique ) de nature imparfaite que nous partageons quand nous consacrons notre vie à soigner les autres. Même si, comme notre frère monsieur Jourdain avec sa prose, nous ( et moi en tête pendant si longtemps ), n’avons jamais fait l’effort de comprendre dans quelle vision du monde nous nous situons.
Il ne semble pas utile de détailler ici toutes les situations avec lesquelles nous vivons tous les jours où ce mal qui accable les humains
constitue notre horizon, notre paysage trop familier. Malade ? L’éthymologie latine du mot, si l’on veut bien me pardonner de jouer ainsi les médecins de Molière n’est pas sans intérêt. << Male habitus >>, c’est tout un programme .
   


restaurer la conscience

xxxLa deuxième proposition de notre philosophe-médecin (ou médecin-philosophe si vous préférez, mais, en tout cas riche de cette double expérience), est ainsi formulée.
A ce mal dans le monde, << on peut y porter remède >>. Cette nature qui n’est pas bonne, comme semblent encore de nos jours en être persuadés un certain nombre de bruyants militants écologistes (3), en devenant médecin ( ou soignant, bien entendu ) nous partageons cette ambition proprement surhumaine. Nous partageons ainsi la conviction de Thomas Huxley (4), un ami de Charles Darwin, que << la vocation de l’homme est de combattre l’ordre naturel, en protégeant les faibles, et en soignant les malades >>. Exorbitante rébellion intellectuelle, qui nous pousse à comprendre toujours mieux les sources et les manifestations de ce mal, en utilisant pour cela tous les moyens de la science et de la technique. Mais, nous y insistons tant le risque est grand : science - sciences vaudrait-il mieux écrire - et techniques de plus en plus extraordinaires ne sont ici que des moyens d’action, pas des fins en soi. La médecine pour la médecine n’a tout simplement aucun sens.


renforcer la compétence

XXXA ce mal dans le monde auquel il est possible de trouver des remèdes, ce dont personne ne doute de nos jours tant nous sommes bercés par les prouesses thérapeutiques, que répondons-nous si nous sommes médecins ?
Anne Fagot-Largeault en fait sa troisième proposition.
<< Il faut y porter remède ; même si les efforts pour y porter remède sont finalement dérisoires, il faut les poursuivre << pour l’honneur >>.
Et nous voilà basculés dans le domaine de l’action, qui nous est si familier depuis le temps de nos études, qu’on en oublie trop à se demander pourquoi et comment nous agissons. Car c’est bien de morale de la médecine ( et des soins) qu’il sagit, mot tout aussi honni que celui d’honneur par notre modernité.

Pour plusieurs d’entre nous à Exmed, il est nécessaire, face à une explosion de la médecine en une myriade de spécialités et sous spécialités, toutes un peu jalouses de leur territoire, de rechercher ce qui constitue le coeur de toute pratique de soins de santé. Nous nommons cela << l’être médecin >>.
Alors au lieu de rester dans l’implicite et le non dit, commencer par poser solidement l’arrière plan ( le background des anglophones ) de toute médecine est une nécessité. En toute logique, c’est par cela que devraient commencer, avant même toute inscription en première année d’étude, un cursus universitaire solide. C’est ainsi que tout le long apprentissage nécessaire à nos métiers devrait en permanence se situer pour lui donner un sens. Imaginer d’introduire une nouvelle discipline supplémentaire ne peut qu’alourdir encore un enseignement hypertrophique. Il est profondément choquant que, depuis toujours, dix pour cent des gens qui sont devenus docteurs en médecine, ce qui coûte une fortune à la collectivité, n’utilisent jamais leurs connaissances médicales.
Pour ceux qui exercent, c’est toujours en prenant en compte le sens de notre pratique, avant qu’il ne soit pas détourné ou dilué dans la vie professionnelle de chacun par la fatigue, la démotivation, la déception et le seul intérêt du gain et des honneurs, que des soignants peuvent rester bien en accord avec eux-mêmes tout au long de leur vie professionnelle. La désaffection de nos jeunes médecins pour les disciplines médicales à risque, et le phénomène dit de << déplaquage >> des praticiens installés en dit le caractère inévitable.
Et même bien longtemps après avoir raccroché leur stéthoscope, les vieux médecins ont alors encore quelque chose d’important à apporter à toute la communauté humaine.

Maintenant, il est évident que l’analyse d’Anne Fagot-Largeault est un outil à éprouver et à améliorer, ou à abandonner, et non un dogme d’airain intouchable.
Nous avons osé proposer une Charte d’Hippocrate sur ce site (cf. infra), pensez-vous qu’elle soit en accord avec, répétons-le une fois encore pour finir , le triptyque évoqué dans cette lettre :
1/ Il y a du mal dans le monde
2/ On peut y porter remède
3/Il faut y porter remède, même si les efforts pour y parvenir se révèlent dérisoires ?

Le plus dramatique pour tout le monde, et malades en tête, j’en suis persuadé, serait que ce type d’interrogation ne suscite que de l’indifférence chez les gens qui s’intéressent vraiment à la santé.

Notes et références:

(1) Pour une initiation à Maïmonide, consulter
http://www.medarus.org/Medecins/MedecinsTextes/maimonide.html
(2) Anne Fagot-Largeault, Médecine et philosophie, PUF 2010, 275 pages, 28 euros.
http://www.puf.com/wiki/Autres_Collections:Médecine_et_philosophie
(3) Cécile Bour : << L’innocence >> de la pensée verte , LEM 613
http://www.exmed.org/archives09/circu613.html
(4) Pour ceux qui ne connaissent pas Thomas Huxley
http://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Henry_Huxley




 


Notre Charte d’Hippocrate est consultable à la page
http://www.exmed.org/archives08/circu532.html



Os court : <<La médecine est intrinsèquement philosophique. >>
Anne Fagot-Largeault


Recherche sur le site Exmed.org par mot clé :

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