Médecine sans racines n'est que ...

4 juin 2012
Docteur François-Marie Michaut
lui laisser un message

Oui, une médecine qui a perdu la connaissance et même la conscience de ses racines culturelles ne peut que s'égarer au gré des modes frénétiques et des techniques époustouflantes du moment.
- Ceux dont elle est le métier ne peuvent que s'étourdir dans l'action pour éviter de réaliser qu'ils ne sont que les exécuteurs d'un système immense, incapable de dire où il veut aller, et comment il compte procéder. Les confrères souffrant de «burn-out» ont peut-être, au fond de leur souffrance, les yeux plus ouverts que les autres.
- Ceux qui ont besoin des services de la médecine ont aussi le droit - si ce n'est le devoir, même si cela dérange certains- de chercher à comprendre comment et par qui ils sont soignés.
    Nous le disons ici depuis des années : la santé est notre affaire à tous, donc, il est toujours aussi indispensable de le répéter, ce n'est pas l'affaire des seuls médecins.

Retrouver la confiance

Constat plein d'amertume ? Je ne le pense pas, et cela ne conduirait à rien le lecteur. Simple invitation à découvrir LE livre qui devrait figurer au premier rang dans toutes les bibliothèques de ceux qui s'intéressent à la médecine, veulent l'exercer ou l'exercent déjà, qu'ils soient ou non enseignant. Son titre, je l'avoue, n'est pas franchement sexy : Médecines du monde, on ne peut plus académiquement sous titré Histoire et pratiques des médecines traditionnelles (1). Claudine Brelet n'est pas médecin. Tant mieux, nous voici assurés de sortir des traditionnels travaux historiques confraternels quelque peu obsédés par des comparaisons minutieuses entre ce que les anciens faisaient et ce que nous sommes actuellement capables de faire. L'auteur est anthropologue de formation, et elle a beaucoup travaillé sur le terrain dans de nombreux pays du monde pour le compte de l'Organisation mondiale de la santé puis à l'Institut international d'agriculture tropicale au Nigeria (Abadan).
   En empruntant d'autres chemins intellectuels, doctorat en sciences sociales exige, que ceux inlassablement parcourus par les praticiens, il est devenu possible de dresser une immense fresque des médecines des hommes, ne connaissant aucune frontière dans le temps et dans l'espace.
Retour tonifiant à nos racines les plus lointaines, qui ne peut que combler ceux qui pensent que toute médecine devrait être systémique. Pouvoir se raccrocher, même si on n'en a jamais, ou si vaguement, entendu parler, aux cheminements continus des cultures pour comprendre et faire face aux aléas de la vie, se révèle un puissant tonique intellectuel. Je peux ainsi me situer comme un rouage d'une des plus extraordinaires aventures humaines qui existe. «Retrouver la confiance» répétons-nous chaque semaine ici, c'est le premier effet secondaire de la lecture de ce livre. Se donner les moyens de penser globalement, c'est un pas majeur vers la liberté d'exister par soi-même dans une perspective systémique.

Restaurer la conscience

Attachez vos ceintures, vous ne serez pas déçus du voyage de la préhistoire à nos jours, d'une extrémité à l'autre du globe, d'un univers culturel à l'autre, de tradition en sagesse, de religion en croyance, de philosophies en sciences, vous allez ouvrir vos horizons. J'ai appris beaucoup de choses que j'ignorais complètement. Par exemple que le mot tibétain lama veut dire... médecin. La conscience de faire partie d'une gigantesque chaîne humaine, ce que notre quotidien normalisé rend de plus en plus imperceptible, trouve là de quoi se restaurer.
Passons rapidement sur quelques maladresses de présentation, ou sur quelques prises de position en forme de recettes médicalement peu argumentées, notre exploratrice intrépide des médecines est une passionnée (2). Comment ne pas l'être pour venir à bout d'un tel travail de recherche sans frontière et d'expression dans une langue accessible ?
Une bibliographie particulièrement éclectique de 57 pages vient asseoir le propos.

Renforcer la compétence

C'est un progrès considérable que d'apprendre à reconnaître la valeur de toute les médecines du monde, au lieu de rester toute sa vie persuadé que la médecine qu'on a longuement apprise et qu'on pratique toute sa vie est , sans aucune discussion possible, la meilleure possible de toutes. Il ne s'agit pas de tomber dans une sorte de syncrétisme mou, ouvrant la porte à tous les abus intellectuels et autres charlatanismes des pratiques mercantiles des modes du moment.
   Entrer un peu, avec tout l'esprit critique nécessaire, dans l'univers intellectuel et surtout spirituel, des autres médecines, c'est enrichir ses capacités d'analyse critique de ce qu'on fait, c'est stimuler sa créativité en n'oubliant pas que le sacré et le médecin ont toujours et partout marché main dans la main. Des vestiges, n'en déplaise aux rationalistes, subsistent dans toute relation thérapeutique. Si, au lieu de les nier ou de les tuer, comme nous y conduit le scientisme ambiant, nous tachions de les observer et de les respecter, ne serait-ce pas notre compétence qui se trouverait renforcée ?

C'est, en résumé, une véritable encyclopédie planétaire des médecins humains que met enfin à notre disposition Claudine Brelet. Bon sang, que je m'en veux de ne découvrir cette somme unique de documentation que dix ans après sa publication. Il doit y avoir quelque faille majeure dans mon système d'information.


Notes:

(1) Claudine Brelet, Médecines du monde, Robert Laffont, collection Bouquins, 2002, 960 pages, 29 euros
(2) Site de Claudine Brelet

Os court : « L'avenir, c'est du passé en préparation. »

Pierre Dac


Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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