Service médical et service rendu aux malades

31 octobre 2011
Docteur François-Marie Michaut
lui écrire

Voilà qui est fait, et largement diffusé dans toute la presse nationale. La Haute autorité de santé (HAS), organisme dépendant directement du ministère de la santé (1) vient de lancer un pavé dans la mare.
Les quatre médicaments les plus utilisés en France dans la maladie d'Alzheimer viennent de faire l'objet d'une évaluation qui se veut «indépendante» et «scientifique».
La conclusion est tombée comme un couperet, avec la mention de «service médical rendu insuffisant». Menace transparente de rétrogradation partielle ou totale de leur remboursement par l'assurance maladie. On se croirait dans l'univers si controversé des agences de notation jonglant avec les A attribués aux États.
Sauf que là, Jacques Grieu nous le montre (2), il s'agit de personnes de chair et de sang, atteintes dans leur esprit par la réduction en peau de chagrin de leurs capacités de mémoire.

Retrouver la confiance

Jadis, il ne serait venu à l'idée de personne de déclarer sans la moindre précaution ce que seuls les médecins savaient. Ce qui, avant le règne de sainte Transparence, nous a valu la réputation de grands cachotiers et de menteurs par charité. La maladie d'Alzheimer, comme tant d'autres, demeure incurable en 2011. Ce qui veut dire que nous ne disposons d'aucun moyen thérapeutique pour la guérir. La dénomination, un peu démodée, de démence présénile en dit long au public non médical quand il consulte Internet (3) sur son évolution.
Qui, parmi les obsédés du tiroir-caisse de l'assurance-maladie, s'est soucié de l'impact sur les malades, et leur famille, de cette déclaration de non confiance dans des traitements médicamenteux aussi largement utilisés ? Les pauvres prescripteurs, utilisant les seules molécules recommandée par la communauté scientifique médicale, sont ainsi brutalement mis en cause dans leur métier.
Un coup de canif de plus dans le contrat de confiance sans lequel aucun acte médical digne de ce nom ne peut exister. La qualité des molécules utilisées en médecine ( et ailleurs dans notre biosphère), c'est une préoccupation nécessaire, personne ne peut le nier.

Restaurer la conscience

Mais, réduire l'action thérapeutique à la course à la guérison, au nom de l'efficacité et des attentes infantiles des personnes ignorantes, est une erreur majeure. Un peu de mémoire. S'il avait fallu, depuis le néolithique, attendre de découvrir des traitements guérissant à tous les coups les malades, les blessés et les femmes parturientes, pour les utiliser en toute certitude, aucun médicament n'aurait jamais vu le jour sur la planète.
La gloire parfois lourde, et l'honneur insigne, des médecins, est de toujours donner ses soins aux patients quelles que soient leurs maladies, et les possibilités de les guérir. Soigner n'est pas guérir, soigner, c'est prendre soin de l'autre, même quand il se trouve dans des situations qui le conduisent à la mort. Ne pas le laisser seul, même quand tout le monde l'abandonne
Le médecin en lui-même est un médicament, nous a appris Balint. Il est même le remède le plus efficace qui puisse nous aider quand la maladie nous frappe.
Pourquoi ne le disons-nous pas haut et fort à tous ceux qui, derrière leurs écrans et leurs chiffres, veulent nous imposer leurs systèmes d'organisation des soins, même si cela fait un peu d'ombre aux professionnels du médicament, des industriels aux officinaux ? Remettre en lumière la fonction irremplaçable de la personne humaine en oeuvre des médecins quand ils soignent n'est que simple justice. Et justesse scientifique pour qui veut bien creuser un peu les choses au delà des apparences bruyantes des marchands en tout genre.

Renforcer la compétence

Le médecin est bien plus, et autre chose, que le technicien capable d'effectuer un diagnostic correct et de prescrire le meilleur traitement du moment pour son patient. Le praticien, et il n'est pour rien là-dedans, est investi par ceux qui font appel à lui, d'un pouvoir particulier, d'une énergie venue d'ailleurs que des territoires explorés par la rationalité scientifique .
Faute de prendre pleinement connaissance qu'il est porteur de cette compétence presque magique aux yeux de ses patients, le médecin erre toute sa vie, de déconvenue en déception. Ce qui ne lui laisse qu'une alternative. Ou bien tenter de trouver une récompense bien palpable en amassant, les yeux et le coeur fermés, le plus possible d'argent. Ou bien, le phénomène du «déplaquage» le dit clairement, prendre la fuite en changeant de métier. Les fameux «déserts médicaux» ne sont pas le fruit du hasard.
Nos universitaires ont assez de travail pour fournir chaque année à la collectivité les jeunes médecins qui terminent leurs études pour ne pas se sentir concernés par un sorte de service après-vente des professionnels en place.
Il existe là un gigantesque continent noir, une sorte de tache aveugle comme au centre de notre rétine à la sortie du nerf optique, qui ne demande qu'à être exploré, et exploité avec toute l'intelligence et l'opiniatreté nécessaires.
Personne d'autre que les médecins eux-mêmes, s'ils veulent bien élargir leur regard et sortir de leur moi envahissant, ne peut s'atteler à ce chantier.
En renvoyant, comme il se doit, à leurs chères études, tous ces «terribles simplificateurs» (Paul Watzlawick) qui veulent prendre la direction des soignants sur le terrain sans se soucier, autrement que dans les discours de circonstance, des réalités humaines en jeu.

                                 ( photo Jean-Claude Deschamps)

Références

(1)En savoir plus sur l'HAS
http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_452559/presentation-de-la-has

(2)J.Grieu, Aloïs (poème)
http://www.exmed.org/poesiegrieu/jgrieu1.html

(3) Démence présénile
http://www.vulgaris-medical.com/encyclopedie/demence-presenile-6558.html



Os court : « Chaque génération se croit plus intelligente que la précédente et plus sage que la suivante. »
George Orwell
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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